Le 25 janvier 2024 marque un tournant dans l'identité des Eglises protestantes. Les abus ont souvent été considérés comme un problème de l'Eglise catholique-romaine ou un problème plus général dans la société, mais pas un problème des Eglises protestantes. La nouvelle étude de l'EKD montre que ce n'est pas le cas. Une auto-immunisation par négligence ou consciente a conduit à protéger les auteurs, à dissimuler la violence et à ignorer les victimes. Detlev Zander, porte-parole des victimes d'abus au sein du forum participatif, parle d'une « journée noire » pour l'EKD. L'étude montre que les cas d'abus ne constituent pas une exception au sein d'une Eglise protestante qui affiche pourtant des exigences morales élevées. Au contraire, ils sont favorisés par des structures favorisant les abus qui sont liées de manière constitutive à l'identité culturelle, théologique et organisationnelle de l'Eglise.
L'étude fournit pour la première fois une base empirique permettant de comprendre les abus, les structures et constellations qui les favorisent, mais aussi le traitement des personnes concernées au sein de l'Église protestante.
L'étude fournit pour la première fois une base empirique permettant de comprendre les abus, les structures et constellations qui les favorisent, mais aussi le traitement des personnes concernées au sein de l'Église protestante. L'étude est structurée en cinq parties qui se concentrent sur différents aspects :
L'enquête a été menée par l'association de recherche interdisciplinaire et indépendante « ForuM - Forschung zur Aufarbeitung von sexualisierter Gewalt und anderen Missbrauchsformen in der Evangelischen Kirche und Diakonie in Deutschland ». Les personnes concernées par des abus ont parfois participé en tant que co-chercheurs et ont été interviewées en grand nombre sur leurs expériences d'abus. L'EKD finance cette étude à hauteur de 3,6 millions d'euros.
L'étude a porté sur des cas d'abus impliquant des mineurs au moment des faits. L'éventail des auteurs ne s'est pas limité aux pasteurs, mais à tous les groupes professionnels de l'Église. Il n'est pas possible de comparer le nombre de cas avec ceux de l'étude « Sexueller Missbrauch an Minderjährigen durch katholische Priester, Diakone und männliche Ordensangehörige im Bereich der Deutschen Bischofskonferenz » (Abus sexuels commis sur des mineurs par des prêtres, diacres et membres d'ordre masculins dans le domaine de la Conférence des évêques allemands) concernant l'Église catholique-romaine, car les sources de l'étude protestante étaient limitées en raison de la nature et de l'organisation des dossiers ainsi que du manque de ressources en personnel et en temps. Pour 19 des 20 Églises membres, seule une analyse des dossiers disciplinaires personnels a pu être réalisée. Seule une Église a analysé et mis à disposition l'intégralité des dossiers personnels. De plus, l'étude ne concerne que les mineurs au moment des faits. Sur cette base, 1259 accusés et 2225 victimes ont pu être identifiés. Les chercheurs partent du principe que cela signifie qu'au moins 60% des auteurs et environ 75% des victimes ne sont pas recensés. Même si les extrapolations sont difficiles dans une perspective scientifique, celles-ci aboutissent au résultat de 9355 victimes d'abus et 3497 accusés. Deux-tiers des personnes victimes d'abus sont de genre masculin. Les auteurs le sont également dans presque 100% des cas.
Ces chiffres sont accablants. L'étude démontre que les abus dans l'Église constituent un phénomène spécifique à l'Église et qui dépasse les confessions.
En revanche, les facteurs et les raisons qui favorisent les abus et les agressions sexuelles sont spécifiques à chaque confession.
En revanche, les facteurs et les raisons qui favorisent les abus et les agressions sexuelles sont spécifiques à chaque confession. La comparaison entre l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest montre que les structures ecclésiastiques sont plus décisives que les contextes politiques respectifs. Trois types de facteurs sont mis en avant comme étant spécifique aux Églises protestantes :
Facteurs organisationnels et systémiques
L'EKD se comprend comme une Église participative, progressiste et organisée horizontalement. Cette image conduit à une occultation systématique du caractère précaire de sa propre situation. Les problèmes liés aux abus étaient identifiés comme étant spécifiques à l'Église catholique-romaine. On constate une divergence flagrante entre la perception de l'institution par elle-même et par les autres. Le fédéralisme, en particulier, entraîne une opacité des procédures et une dilution des responsabilités qui, aux yeux des personnes concernées par les abus, sont le « pilier des abus ». Contrairement à la perception que l'Église a d'elle-même, l'analyse montre que la « participation » est un concept clé des facteurs systémiques favorisant les abus.
Lors de la présentation de l’étude, il était question du maniérisme dont faisait preuve les responsables d’Église à l’égard des structures participatives et fédéralistes.
La participation correspond d'une part à la demande justifiée de nombreuses personnes victimes d’abus d'être entendues et impliquées dans la conception des études, la mise en œuvre des mesures et l'établissement de concepts de prévention efficaces. Mais souvent, ces personnes ne sont pas considérées comme des partenaires compétents, mais comme des victimes qui doivent bénéficier d’un accompagnement spirituel. Parallèlement, la participation a servi à légitimer la lenteur bureaucratique du traitement des cas : lors de la présentation de l’étude, il était question du maniérisme dont faisait preuve les responsables d’Église à l’égard des structures participatives et fédéralistes. Dans la plupart des cas, les réactions ecclésiastiques visaient une désescalade de la situation afin de bloquer la discussion autour de la violence structurelle de l'organisation elle-même. Dans l'ensemble, les structures et les procédures ecclésiastiques apparaissent incohérentes et peu transparentes aux yeux des personnes concernées.
Facteurs théologiques
L'abus échappe aux poursuites pénales parce qu'il est relégué de manière problématique au niveau théologique concernant questions de foi et de salut.
Une conception mécanique du lien entre culpabilité et pardon se révèle particulièrement problématique. Les Églises demandent rapidement leur pardon aux personnes concernées et escamotent le processus de reconnaissance de la souffrance, de repentir et de réparation par l’offre d’une compensation financière. Les abus échappent aux poursuites pénales parce qu'ils sont relégués au niveau de la foi et du salut. L’interprétation théologique entrave l’accès aux processus juridiques. Là où les personnes concernées demandent une réflexion sérieuse et critique sur les conditions favorisant les abus, les Églises répondent avec un traitement pastoral. Les cas documentés montrent que lorsque les personnes concernées ne répondent pas aux attentes de l'Église, notamment en faisant pression pour que des changements aient lieu, celles-ci sont discréditées et stigmatisées.
Selon l'étude, le pouvoir social et spirituel des pasteurs protestants et leur statut d'autorité interprétative pour la communauté, s'avèrent également problématique. Les personnes concernées et les témoins ont eu et rencontrent encore des difficultés à s'opposer à cette autorité. L'image que l'Église se fait d'elle-même, celle d'une communauté idéale imaginée comme une famille, complique les choses et conduit à un état d'esprit patriarcal, qui cherche à éviter les conflits et favorise l’entre-soi. Si elles ne correspondent pas à l'idée que se fait l'Église de la résolution des conflits, les personnes concernées par les abus sont exclues de la communauté, afin d’en préserver l’harmonie. Les personnes particulièrement distantes de l’institution n'ont guère accès aux processus de traitement des cas, ainsi qu’aux préventions.
Les abus spirituels précèdent dans de nombreux cas la violence sexuelle. Ceux-ci constituent un problème particulier. Les personnes concernées pas des abus subissent conjointement des abus spirituels, mentaux et physiques.
Facteurs culturels
Pour les quelque 70 dernières années auxquelles se consacre l’étude, on constate dans l'Église protestante une conception confuse et contradictoire de la sexualité, qui oscille entre tabou et déconstruction. Cela conduit à un manque de clarté problématique lorsqu'il s'agit de définir des limites, d'imposer des normes professionnelles et même simplement de séparer le privé du professionnel. Le presbytère (ou la cure) est le symbole de cette problématique.
Les faiblesses structurelles provoquent une escalade du problème, car elles sont en contradiction flagrante avec l'image que les protestants se font d'eux-mêmes, dans la perspective d’une supériorité morale et culturelle par rapport aux autres institutions et communautés religieuses. L'image positive de l'Église protestante comme lieu sûr, assurant la protection de la dignité et de l'intégrité humaines, comme lieu accueillant pour les enfants et ouvert au monde, pose des difficultés à la thématisation des abus.
Outre les descriptions des violences sexuelles et des abus de pouvoir subis par les personnes concernées, c’est leur perception du traitement des cas d'abus par l'Église qui est particulièrement choquante. La plupart des personnes concernées estiment que l'action de l'Église n'est pas d'une grande aide. Elles se sentent mises sous tutelle, stigmatisées ou constatent que les structures ecclésiales font trainer la procédure.
L'échec de la prise en charge de l'Église vis-à-vis des personnes concernées est documenté dans l'étude.
Ce constat est d'autant plus amer que sans cet engagement des personnes concernées, aucune prise de conscience institutionnelle de ce problème n'aurait vu le jour ! L'échec de la prise en charge de l'Église vis-à-vis des personnes concernées est documenté dans l'étude. Les personnes concernées ne souhaitent que très rarement un accompagnement spirituel ou un soutien pastoral de la part de l'Église. Elles insistent plutôt pour que les structures à l'origine des abus soient mises à jour et que les auteurs soient démasqués afin d'écarter le risque de nouveaux abus. Ils ne veulent pas être réduits à leur rôle de victimes, mais veulent apporter leur expérience personnelle de manière constructive dans les processus d'émancipation de l'Église.
Il serait cynique vis-à-vis de chaque personne concernée de relativiser les résultats de l'étude de l'EKD par rapport à la situation en Suisse. Il est vrai que les Églises membres de l’EERS ne gèrent pas d'œuvres diaconales comme des hôpitaux, des écoles, des jardins d'enfants et des foyers. Cela se verrait certainement dans le nombre d’abus en Suisse. Mais on peut partir du principe que les constats qui se rapportent au travail avec les enfants et les jeunes, aux abus dans les paroisses, à l'analyse des spécificités culturelles et théologiques qui favorisent les abus, s'appliquent en principe aussi aux Églises évangéliques réformées de Suisse.
Aujourd’hui, l'étude de l'EKD montre que ce ne sont pas des paroles qui sont demandées, mais d'abord l’écoute des personnes concernées. Si les Églises partagent vraiment avec elles le désir d’un changement, il n'y a pas d'autre solution que de réaliser une étude qui se penche sur la perspective des personnes concernées et qui oblige les Églises à se mettre à l’écoute de manière autocritique. Deuxièmement, les résultats de l'étude montrent à quel point les instances spécialisées, externes à l’Église, sont importants pour les personnes concernées et à quel point il est important que les personnes concernées puissent facilement s’annoncer. Ce besoin doit primer sur les structures fédéralistes. Troisièmement, notre structure de milice participative et démocratique ne doit plus être invoqué pour remettre en question la faisabilité d'une étude. Ce serait faire preuve de cynisme à l'égard des personnes concernées que de transformer cette exigence en une pomme de discorde politico-ecclésiastique, entre une approche organisationnelle décentralisées et centralisées, entre une tendance à la professionnalisation et des modèles participatifs. Ce qui est en jeu est une prise de conscience du problème et la vigilance de toutes les personnes qui assument des responsabilités ecclésiales quant à leurs propres faiblesses systémiques et culturelles.
L'EERS et les Églises membres sont maintenant appelées à effectuer un travail sur les abus qui ont eu lieu en leur sein, à identifier les zones de problèmes systémiques et à y remédier.
L'EERS et les Églises membres sont maintenant appelées à effectuer un travail sur les abus qui ont eu lieu en leur sein, à identifier les zones de problèmes systémiques et à y remédier. Elles n'y parviendront pas sans les personnes concernées et leur aide. Elles ne le font pas pour ces personnes concernées, mais elles le font avec elles, pour toute l'Église et les personnes qui veulent y vivre ensemble. Il n'y a pas de tâche ecclésiale et théologique qui soit plus importante à l'heure actuelle.
WordPress multilingue avec WPML
2 réponses
Bonjour,
existe-t-il une traduction française du rapport?
Bonne journée,
Alexandre Perreault
Bonjour,
Merci pour votre question : il ne me semble pas malheureusement ! Il devrait être possible de se débrouiller un peu avec les outils de traductions automatisées – même si sur ce thème là en particulier le travail de traduction n’est pas toujours très satisfaisant.
Meilleures salutations,
E. Jaillet