Psychothérapie de Dieu

Dans un livre paru en 2017, Psychothérapie de Dieu, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik l’affirme : Oui, croire en « Dieu » rend plus heureux et plus solidaire… Cyrulnik s’est intéressé à l’impact positif et négatif des croyances religieuses sur les humains. Cette recension retrace les principales idées du livre.


Le point de départ de la réflexion de Cyrulnik est un constat et une question : pourquoi les êtres humains qui croient dans l’existence d’un « Dieu », d’un « principe divin » ou d’une « force supérieure » sont-ils massivement les plus nombreux sur notre planète et pourquoi les approches scientifiques peinent-elles à s’intéresser à un phénomène aussi largement répandu ?

Pourquoi s’attache-t-on à « Dieu » ?

En tant que phénomène humain majeur, la religion apporte des bénéfices mentaux et sociaux considérables. Elle structure la vision du monde des individus, leur donne du sens et fonctionne comme un tranquillisant naturel. Les dernières avancées en imagerie cérébrale confirment l’influence positive de la religion sur le cerveau. On le sait depuis plusieurs années déjà, la méditation et la pratique de la prière ont comme vertu de calmer le fonctionnement cérébral et de diminuer l’angoisse existentielle. La religion renforce également l’estime de soi, la confiance et l’élan vers les autres ainsi que la solidarité du groupe. La religion est donc une puissante ressource individuelle et collective. Elle développe la résilience qui permet aux humains de surmonter les blessures et les aléas de la vie. En socialisant les âmes et sécurisant les cœurs, elle joue un rôle de « colonne vertébrale », de « tuteur de développement » permettant à l’être humain de faire face aux contingences de la vie, de rester debout, de traverser et surmonter l’inévitable… 

Cyrulnik souligne également qu’on peut être croyant sans connaître le malheur, par euphorie, par simple bonheur d’être au monde, en éprouvant la joie de se sentir vivant parmi ceux qu’on aime. La religion répond donc à une foule de besoins de types cognitifs, émotionnels, relationnels et moraux… A sa manière, elle contribue à la santé mentale tant des individus que des groupes.

Comment s’opère l’attachement à « Dieu » ?

Selon Cyrulnik, l’enfant accède au divin parce qu’on l’aime et qu’on lui parle. Pour s’attacher à des figures symboliques, il importe que le petit d’homme ait fait l’expérience préalable d’être aimé et en sécurité. Pour acquérir confiance et sécurité dans la vie, l’enfant doit pouvoir inscrire dans sa mémoire précoce la trace d’une « figure d’attachement sécure », une « niche mentale affective ». Il doit faire l’expérience que ses parents l’aiment et prennent soin de lui. Ces expériences d’attachement seront des étais qui rendront possible son propre développement affectif et spirituel.

Mais l’enfant accède aussi au divin parce qu’on lui parle, c’est-à-dire dès le moment où il découvre la parole et peut recourir aux mots. Aucun bébé n’est croyant quand il arrive au monde. Ce n’est que lorsqu’il entrera dans le monde des mots (vers sa troisième année) que ses parents pourront lui « présenter leur Dieu » ou le substitut auquel ils se réfèrent. Par le langage, l’enfant acquiert la capacité de se représenter une réalité symbolique non visible. L’enfant aimera « Dieu » de manière sécure si ses parents lui en parlent de manière sécurisante. Il éprouvera « Dieu » avec crainte et tremblement si ses parents lui parlent d’un « Dieu » punisseur. Il recevra « Dieu » de manière dubitative si ses parents lui en parlent de manière sceptique et réservée. L’enfant s’imprègne du style d’attachement à « Dieu » de ses parents. On le voit, la transmission et les formes de transmission jouent donc un rôle essentiel.

Mais qu’en est-il de celles et ceux qui n’ont pas eu la possibilité de construire une telle « niche affective » et d’enraciner leur élan spirituel dans des récits familiaux et culturels ? Est-ce à dire que tout attachement spirituel sera rendu difficile voire impossible ? Pourtant nous savons tous que malgré une enfance peu propice à la spiritualité, l’humain est aussi capable d’un rebond ou d’un « élan vers Dieu », tout au long de sa vie, comme dans son grand âge en particulier. Cyrulnik parle assez peu de ces retours et reconfigu-rations de la spiritualité. Nous pourrions dire, peut-être, qu’on se construit l’image de « Dieu » transmise par nos parents et reconquise par notre propre trajectoire de vie. Et la forme que « Dieu » prendra pour chaque croyant dépendra autant de son développement personnel que de l’évolution de son contexte culturel… Mais pour pouvoir aimer « Dieu », il est nécessaire, semble-t-il, de pouvoir aimer la vie

La face sombre des religions

A côté des effets bénéfiques de la religion, Cyrulnik détaille les fâcheuses dérives qu’elle peut avoir sur les individus. L’effet maléfique de la religion survient chaque fois que les croyances se referment sur elles-mêmes et deviennent des absolus qui ne supportent aucune concurrence. Cela se produit quand les croyants s’enferment dans une seule et unique représentation et ignorent que d’autres points de vue et expériences existent de manière légitime. Si l’être humain se laisse enfermer dans ses propres croyances, il peut devenir pervers et aller jusqu’à souhaiter l’annihilation ou la mort de ceux qui ne pensent pas et ne croient pas comme lui. Dès que nos croyances se clôturent, on entre alors dans une philosophie de clan et dans des formes d’existence communautaristes. De tels replis sont extrêmement dangereux car on n’aime que ceux qui pensent et croient comme nous…

La religion est-elle une illusion ?

Devant ce tableau ambivalent, faut-il déclarer que la religion est une pure et dangereuse illusion et qu’il s’agit de la balayer d’un revers de main ? Cyrulnik s’y refuse. Parce qu’à ses yeux, il n’y a pas de construction de l’humain sans le recours à des réalités symboliques (métaphoriques et métonymiques) qui permettent aux humains de se représenter l’absence et l’invisible. Les croyances religieuses, comme les formes de croyance philosophiques qui fleurissent de nos jours, sont certes ambivalentes, mais elles constituent des « représentations » probablement nécessaires à la condition et à la construction humaine. Si nos dispositifs religieux tels que les formalisent les religions évoluent dans le temps et dans l’espace, s’ils sont appelés à se transformer, à se diluer voire à mourir, notre disposition à croire, à faire crédit, demeure pérenne, en vertu d’une incomplétude qui nous pousse à nous ouvrir à quelque chose qui nous dépasse« L’homme passe infiniment l’homme » déclarait déjà Pascal. C’est pourquoi, aussi, il importe de différencier religion et spiritualité. Si les religions sont des systèmes de représentations (croyances) et de pratiques sociales (rites) instituées, la spiritualité est un sentiment de transcendance, une « élation » intérieure (une élévation, allégresse, exultation), un élan vers l’infini, vers cette réalité dont je ne vois ni le visage ni la forme, mais dont je peux ressentir la présence agissante et bénéfique

Boris Cyrulnik, Psychothérapie de Dieu, Odile Jacob, 2017.


Jean-François Habermacher est pasteur et formateur d'adulte à la retraite. Il a dirigé pendant de nombreuses années le séminaire de culture théologique.

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