«Killing me softly…» – Mourir dans une capsule

«Cet excellent hôtel est très ancien. Déjà à l’époque du roi Clovis on y mourait dans quelques lits. À présent on y meurt dans cinq cent cinquante-neuf lits. En série, bien entendu. Il est évident qu’en raison d’une production aussi intense, chaque mort individuelle n’est pas aussi bien exécutée, mais d’ailleurs cela importe peu. C’est le nombre qui compte. Qui attache encore du prix à une mort bien exécutée ? Personne. Même les riches, qui pourraient cependant s’offrir ce luxe, ont cessé de s’en soucier ; le désir d’avoir sa mort à soi devient de plus en plus rare. Quelque temps encore, et il deviendra aussi rare qu’une vie personnelle. C’est que, mon Dieu, tout est là. On ar-rive, on trouve une existence toute prête, on n’a plus qu’à la re-vêtir. On veut repartir, ou bien l’on est forcé de s’en aller : sur-tout pas d’effort ! Voilà votre mort, monsieur.»  

Cette citation tirée du roman de Rainer Maria Rilke « Les cahiers de Malte Laurids Brigge » paru en 1910 et traduit ici par Maurice Betz, résume bien le conflit actuel autour de la mort. Une culture de la mort standardisée – une fabrique de la mort en fait – se heurte au désir d’avoir une mort personnalisée, une mort qui corresponde à qui l’on était lors de sa vie. L’envie de pouvoir mettre fin à ses jours « tout en douceur » s'accompagne d'un scepticisme croissant à l'égard des formes traditionnelles de l’assistance au suicide. 

Design mortel 

C’est dans ce contexte que Philip Nitschke et Fiona Stewart, auteurs du livre « Killing Me Softly. Voluntary Euthanasia and the Road to the Peaceful Pill » (Me tuer avec douceur. L’euthanasie volontaire et le chemin vers la pillule paisible), proposent une nouvelle technique d'euthanasie do it yourself. La capsule de suicide futuriste « Sarco » serait l'instrument ultime pour un départ contrôlé. Cette cabine à gaz, fabriquée par impression 3D, est censée permettre une « sortie élégante et stylée » hors de la vie. La mort est provoquée par asphyxie au moyen d'un gaz rare. « Sarco » permettrait ainsi une « mort do it yourself légale, démédicalisée et paisible », qui ne nécessiterait aucune compétence ou expérience particulière.   

La capsule se présente dans un design soigné, s’intégrant parfaitement dans l’univers des produits de luxe. L’accent est mis sur la « fiabilité » et la « douceur ». Mais un malaise nait au moment où ces adjectifs rentre en contact avec la finalité de l’appareil, qu’elle masque de manière élégante. Elle laisse croire que le suicide de la personne serait comme si elle avait déménagé : nous ignorions simplement la nouvelle adresse. Mais ce n’est tout simplement pas ce qui se passe lors d’un suicide, même si nous souhaitons peut-être qu’il en soit ainsi pour nous. Occultation des réactions au décès, des affects et de la tristesse, réduction de la mort à une procédure technique optimisée : tout cela implique un rétrécissement sinistre de la vie humaine.  

Qu'est-ce qui se cache derrière la peur à l’égard de « Sarco » ? Est-ce la méfiance envers une société qui considère de plus en plus la mort comme un élément étranger à la vie et qui lui dénie sa dimension émotionnelle ? Ou bien est-ce le scepticisme profond à l'égard d'un monde technocratique qui considère la mort comme un problème à résoudre avec des procédures ?  

L’individu isolé 

Le débat autour de « Sarco » est le reflet de notre société, tiraillée entre liberté individuelle et responsabilité collective. La capsule de suicide démontre de manière exemplaire comment les fondements moraux de notre vie en commun sont mis à l'épreuve à l'ère des possibilités techniques croissantes. 

La mort parfaite, dans l’isolement total d’une capsule hermétiquement fermée, transparente et vitrée. L’image de la mort solitaire propre aux sociétés modernes s’en trouve renforcée. L’appareil génère sa propre constellation sociale :

  1. Lors d’un suicide volontaire, l’entourage renonce volontairement à intervenir alors même qu’il le pourrait – avec « Sarco », l’appareil technique empêche violemment toute intervention externe ;
  2. La confiance mutuelle, ingrédient indispensable du suicide assisté, est remplacé par l’enveloppe défensive de l'appareil. Elle empêche tout accès, et se passe donc de la relation de confiance ;
  3. Contrairement au suicide assisté, la capsule empêche toute perception corporelle, tout contact tactile et tout lien physique ;
  4. Selon les directives médico-éthiques de l'ASSM, le désir de mourir d'une personne peut en principe être compris par des tiers. Cet aspect relationnel est systématiquement mis de côté du fait des cloisons de la capsule ;
  5. À la différence des conceptualisations du suicide assisté, l'idéologie qui se trouve derrière « Sarco » nie le fait que ce n’est pas aux autres que les personnes doivent leur socialité, mais à elles-mêmes ;
  6. La personne souhaitant mourir est enfermée (situation imposée par le dispositif technique). Ceci a pour conséquence que la dimension sociale de la vie humaine prend fin durant la vie déjà et non pas seulement à la mort. 

C'est le prix à payer pour une méthode de suicide qui, d'une part, profile sa méfiance envers l'État et la médecine et, d'autre part, place sa confiance exclusivement dans un moyen technologique. D'un point de vue éthique, la question n'est pas de savoir si de tels appareils devraient être légalement autorisés ou interdits, mais de déterminer si une société dans laquelle cette technologie de suicide devient une voie possible reste une société que nous pouvons désirer et si nous avons de bonnes raisons de souhaiter pour nous-mêmes que « Sarco » existe. 

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Image de Frank Mathwig

Frank Mathwig

Prof. Dr. theol.
Beauftragter für Theologie und Ethik

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