Ce livre s’intéresse, à partir d’une perspective protestante, à ce qui fait la condition humaine. Il rassemble quatre conférences, chacune accompagnée de quelques indications bibliographiques pour aller plus loin. Le format conférence se lit facilement et les quatre textes résonnent les uns avec les autres, sans entrer directement en dialogue, donnant une certaine unité à ce petit volume très maniable et accessible.
Il s’agit du premier volume de la collection A voix haute qui rassemble dans des volumes thématiques les textes de conférences données par les professeurs de l’Institut Protestant de Théologie (IPT) dans divers lieux et circonstances.
Christophe Singer (enseignant de théologie pratique)
L’auteur donne dès la première ligne sa réponse, à contre-courant des belles idées qu’on aime se faire de notre religion : non ! Pour étayer cette réponse, Christophe Singer montre d’abord comment l’humain, toujours insatisfait de lui-même, ne peut s’empêcher de viser le ‘devenir ange’ et, ce faisant, risque de ‘devenir la bête’. Singer analyse la violence comme le franchissement de la limite que le réel et le langage posent aux possibles et à la tentation d’être tout.
Dès lors la question n’est pas comment devenir non-violent, mais que faire de cette violence qui est là ? Comment l’empêcher de tout détruire sur son passage ? Après le meurtre d’Abel, l’Éternel pose un signe sur Caïn, pour empêcher que la violence n’engendre à nouveau la violence. Ce signe est le prototype des institutions de régulation de la violence, dont fait partie la religion. Comme toute institution, celle-ci peut être pervertie par la violence, dans la mesure même où elle aspire à la faire disparaître. La religion glisse vite sur la pente de proposer un Dieu qui permet à l’humain d’être tout ce qu’il n’est pas par lui-même, reflet d’un désir de totalité qui est le lit de la violence. C’est ainsi que pour Singer, la religion n’est pas un lieu de violence, mais le lieu de la violence par excellence (p. 20).
Éliminer la violence n’est tout simplement pas possible – pas plus pour les religions que pour les autres institutions. Partant de là, le chemin le plus fécond passe par la reconnaissance de la présence de cette violence comme fait humain et religieux. C’est ainsi que les récits bibliques procèdent : ils produisent le paradoxe « d’une parole qui n’impose pas ce qu’il faut faire pour éliminer la violence (il faudrait se faire violence pour obtempérer à cette injonction), mais qui annonce la bonne nouvelle que la violence est déjà vaincue. » (p. 27)
Nicolas Cochand (enseignant de théologie pratique)
Avant de proposer un parcours historique, l’auteur nous invite à nous attarder un instant sur l’acte de communication particulier que constitue la prière communautaire. Les mots sont choisis par la personne qui l’a préparée selon certains critères (thème de la célébration, tradition, etc.). La personne qui se trouve dans l’assemblée est invitée à la fois à recevoir ces mots et à en devenir l’autrice pour s’y associer et faire de ces mots sa prière. Un ensemble de conventions non écrites (attitudes, ton, mots utilisés) permettent à l’assemblée de reconnaître le temps de prière et d’adopter l’attitude jugée adéquate par cela dans cette communauté et à cette période-là.
Pour nourrir la réflexion de l’église locale qui l’a invité dans le cadre de la création d’un groupe de prière, Cochand propose ensuite un bref parcours historique, en commençant par Luther. Pour lui, la prière est un pilier indispensable de toute vie de foi, personnelle ou communautaire. La prière est très présente dans sa correspondance, où elle se fait militante (prière pour telle situation ou telle personne). Elle est brève, et nourrie de références aux psaumes et au Nouveau Testament. Elle ne prescrit rien à Dieu, pour préserver la souveraineté divine. Tout le monde peut et doit prier, d’où une grande place faite à la prière dans les enseignements catéchétiques de Luther.
De Luther, on passe ensuite à Calvin, pour qui la prière est le lieu dans lequel le fidèle reçoit ce que la foi promet. Calvin recommande de prier sérieusement, sans se laisser distraire, en prenant d’abord conscience de notre misère (confession des fautes), dans la confiance de l’accueil aimant de Dieu. La prière « apaise le croyant, par la conviction qu’il acquiert que sa situation est connue de Dieu. » (p. 45).
La sensibilité réformée a par la suite été très influencée par les différents mouvements de réveil ou revivalisme de 18e et du 19e siècle. Si à la Réforme, on s’adresse à Dieu dans la prière au nom du Christ, le piétisme invite à s’adresser à Jésus, ce dont nous gardons la trace dans un certain nombre de nos cantiques. Le revivalisme, lui, a mis l’accent sur les sentiments, tant dans les paroles que dans l’harmonisation des chants : l’expérience personnelle de la conversion est mise au premier plan. Au 20e siècle, l’œcuménisme a permis à la tradition réformée de se réconcilier avec d’autres traditions de prière, en utilisant volontiers des auteurs antérieurs à la Réforme ou issus d’autres courants du christianisme. Les courants évangéliques et pentecôtistes mettent eux l’accent sur la louange, la puissance et l’efficacité de la prière, qui sont plutôt en retrait dans les églises réformées historiques.
Si ces nombreuses influences qui changent parfois l’expression de la prière, elles n’en changent pas le fond, à savoir l’articulation entre confiance et humilité devant Dieu.
Guilhem Antier (enseignant de théologie systématique)
L’auteur nous emmène à rebrousse chemin de la question classique « quel avenir pour nos enfants ? ». Les églises reprennent bien souvent cette question sans grand recul ni réflexion, identifiant par exemple trop rapidement sauvegarde de la création et et oubliant que nous ne prions par pour la sauvegarde (= garder en l’état) mais pour le salut de la création (= rupture radicale qui fait toute chose nouvelle). La fin du monde, porteuse dans la tradition chrétienne d’espérance, finit ainsi par fonctionner dans les églises comme ailleurs, suscitant angoisse, culpabilisation et désespoir. Il ne s’agit pas pour Anthier de dénigrer les préoccupations écologiques, mais de rappeler qu’aucune des actions à mettre en place n’a de valeur justifiante ni sanctifiante devant Dieu !
En fait, la question « quel avenir pour nos enfants » est à côté de la plaque car elle présuppose que nous avons une maîtrise sur l’avenir, alors qu’il nous échappe radicalement, quelles que soient nos tentatives pour identifier les forces qui le façonnent ! Renverser la question et se demander quels enfants pour notre avenir redonne par contre une posture de sujet. Pour nos enfants comme pour nous, la question est de savoir comment garder vive la capacité d’espérance des êtres humains. Notre inquiétude sur l’avenir de nos enfants nous renvoie donc in fine à notre propre foi…
À la question « Quels enfants pour notre avenir ? », Anthier répond donc : « Des enfants capables de désirer, de croire, d’espérer : c’est cela qu’il nous faut désirer, croire, espérer ! Et comment désirer que nos enfants soient désirant si nous-mêmes ne le sommes pas – si nous-mêmes ne laissons pas la foi garder notre désir, et par là notre jeunesse ? » (p. 68-68) En somme, pour sortir de la sidération de l’angoisse devant l’avenir comme de l’orgueil de croire pouvoir le maîtriser, Anthier nous renvoie à notre propre responsabilité de croyant.es, à notre propre foi et à notre propre espérance.
Céline Rohmer (enseignante de Nouveau Testament)
Partant de quelques défis éthiques qui mettent en jeu la représentation que nous avons de la condition humaine (PMA, GPA, don d’organes, transhumanisme, suicide assisté), l’autrice constate la définition nécessairement mouvante de l’être humain. Si la Bible n’est pas un manuel d’éthique, elle nous propose des pistes pour penser la condition humaine.
Pour le Nouveau Testament, c’est l’événement christique qui permet de comprendre l’humain. Rohmer explore plus particulièrement la figure de Pierre dans l’Évangile de Matthieu pour mettre en évidence les points saillants de la condition humaine selon le NT : une condition qui naît de la rencontre et qui reste ainsi ouverte et libre plutôt que figée dans une identité bien définie et circonscrite.
Dans le récit de la tempête apaisée (Mt 14,22-33), elle relève la prétention de Pierre à comprendre et connaître Dieu, prétention qui le pousse hors de la barque pour participer à la théophanie en cours. Mais Pierre est humain, et il coule. Sa place n’est pas aux côtés du Christ, mais à sa suite. C’est de là qu’il peut dire en vérité « tu es le Dieu vivant » quand Jésus demande à ses disciples « qui dites-vous que je suis ? » (Mt 16,15-28), et reconnaître ainsi que la Vie dans sa propre vie lui vient d’un autre. L’Église naît de cela : vivre en Christ ce n’est pas vivre seul c’est vivre ensemble.
Et pourtant Pierre rejette ensuite ce que Jésus dit que le Christ doit être, est et sera. Il ne comprend pas que Jésus doit mourir. À la veille de la mort du Christ, Pierre en est toujours là (Mt 26, 69-75) : il refuse d’envisager sa propre faiblesse, sa propre trahison. Il se fantasme fidèle, fort, bon. L’expérience se charge de le faire mourir à ce qu’il croyait pouvoir être. Pourtant, au cœur même de sa trahison, Pierre garde un lien, même ténu, avec Jésus. L’évangile de Matthieu ensuite ne mentionne plus Pierre explicitement, peut-être pour ne pas en faire un modèle. On sait simplement qu’il est là dans les apparitions du ressuscité aux Onze, pleinement vivant, ce qui veut dire habitant pleinement ses limites (et non pas les ayant repoussées et encore moins dépassées).
Voici l’homme, Olivétan/Institut Protestant de Théologie, 2020 (Collection « À voix haute, conférences de l’IPT » vol. 1).
Sandrine Landeau est pasteure dans l'Église protestante de Genève (région Centre-Ville rive gauche), après une première vie professionnelle comme ingénieure dans le domaine de la recherche forestière.
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