La « nouvelle confusion » (Neue Unübersichtlichkeit) souvent citée, diagnostiquée à l'origine par Jürgen Habermas, s'applique également aux domaines du sexe et du genre. Le dépassement du dualisme des genres traditionnellement déduit du sexe biologique (sexe) au profit d'une compréhension plurielle (de soi) des identités de genre a pour conséquence l'impossibilité de définir les genres de manière définitive (objective). Le signe « * » ou « + » dans l'acronyme LGBTQI* indique le caractère provisoire et ouvert des variations conceptuelles du genre. Le terme « queer » ne sert pas seulement à désigner les personnes transgenres et la diversité de genre, mais il représente également la relation non-déterministe entre l'identité de genre et le sexe biologique. Le personnage en pain d'épices de Sam Killermann nommé « Genderbread », ouvre une perspective différenciée sur la complexité du genre et de la sexualité (et les discours à ce sujet), en faisant la distinction entre l'identité sexuelle, l'expression de genre, le sexe anatomique, le sexe de naissance, l'expression de genre et l'orientation sexuelle :
L'identité de genre désigne la manière dont une personne vit, définit et façonne son genre (traits de personnalité, profession, hobbies, préférences, aversions, rôles, attentes, etc.). Elle dépend de la manière dont elle est en accord ou en désaccord avec cette compréhension.
Le sexe désigne, d'une part, les caractéristiques physiques (organes sexuels, hormones, chromosomes, pilosité corporelle, croissance des seins, hanches, tonalité de la voix) avec lesquelles une personne naît ou se développe. S’en distingue le genre qui est attribué à une personne à sa naissance.
Par attirance, on entend la manière dont une personne se sent attirée par d'autres personnes, que ce soit sur le plan sexuel, romantique, émotionnel et/ou autre.
L'expression fait référence à la manière dont une personne représente son genre par son comportement et son apparence (allure, vêtements, style, mise en scène, coiffure, maquillage, etc.) en matière d’attentes sociales.
Les catégories « identité de genre », « sexe », « attirance » et « expression » ne sont pas des descriptions alternatives du genre personnel et de l'orientation sexuelle, mais elles sont des aspects cumulatifs de l'identité qu'une personne développe dans son environnement social, culturel et juridico-politique, dans lequel elle est identifiée comme cette personne. Il est décisif (1) de ne pas déduire l'identité et l'expression de genre du sexe biologique et (2) l'attirance (orientation sexuelle) du sexe social (identité et expression de genre).
Ce schéma déconstruit l'hétéronormativité traditionnelle qui est biologiquement liée à la sexualité dyadique ou endosexuelle et cognitivement et émotionnellement liée à la sexualité CIS (celle qui dépend de l’assignation du sexe à la naissance). Chez la personne endosexe, les caractéristiques sexuelles biologiques (génétiques, anatomiques et hormonales) correspondent au schéma corporel binaire masculin/féminin. Chez la personne CIS, l'identité sexuelle vécue sur le plan cognitif et émotionnel correspond au sexe attribué à la naissance. Chez la personne intersexe, la congruence endo-sexuelle n'existe pas. Le sexe de naissance et l'identité sexuelle d'une personne transgenre ou transidentitaire (agender, bigender, genderfluide, etc.) divergent ou se développent différemment. Depuis le 19e siècle, l'intersexuation (ou intersexualité) était considérée comme une pathologie biologique et le transsexualisme comme une pathologie cognitivo-émotionnelle.
De cela de il convient de distinguer l'orientation sexuelle , qu’elle porte sur des personnes de même sexe ou de sexe différent. « Il s'agit d'un modèle d’attirance émotionnelle, romantique et/ou sexuelle que les personnes exercent sur les autres. Elle fait également référence au sentiment d'identité personnelle et sociale d'une personne, fondé sur ses tendances. A cela s’ajoutent les comportements qui y sont associés et l'appartenance à une communauté d'autres personnes qui ont des tendances et des comportements similaires. L'identité sexuelle se distingue de l'identité de genre. » (Sam Killermann).
L'orientation sexuelle, qui est également au centre des thérapies conversion (très controversées), ne constitue qu'un aspect de la thématique orientation sexuelle et identité de genre (Sexual Orientation and Gender Identity SOGI), dans la mesure où elle se focalise exclusivement sur l'attirance selon une perspective hétéronormative. La variabilité du sexe biologique, la signification, l'importance, la dimension personnelle des identités de genre et des formes d'expression non binaires sont passées sous silence.
Selon le rapport d'experts indépendants de l'ONU, l'expression « thérapie de conversion » est utilisée comme un « terme générique pour décrire des interventions de différents types, toutes fondées sur la conviction que l'orientation sexuelle et l'identité de genre d'une personne, y compris l'expression de genre, peuvent et doivent être modifiées ou réprimées si elles ne relèvent pas de ce qui est considéré comme la norme souhaitable dans un environnement donné et à un moment donné par d’autres acteur·trices. Cela vaut en particulier si la personne est lesbienne, gay, bisexuelle, trans ou gender diverse. De telles pratiques visent donc systématiquement à faire que des personnes attirées par le même sexe des personnes soient attirées par l’autre sexe et que des personnes trans ou gender diverse deviennent des personnes cisgenres. Selon le contexte, le terme est utilisé pour désigner une multitude de pratiques et de méthodes, dont certaines se déroulent dans l'ombre et sont ainsi peu documentées ».
Les thérapies de réorientation ou de conversion sont aujourd'hui discutées sous le terme générique de Sexual Orientation Change Efforts (SOCE). S'il s'agit également de mesures visant à empêcher des identités de genre et leurs formes d'expression non conformes à la norme, on parle de Sexual Orientation, Gender Identity and Expression Change Efforts (SOGIECE). Au sens strict du terme, tous les concepts et pratiques qui « influencent l'orientation sexuelle d'une personne, ou des aspects partiels de celle-ci, par des interventions ciblées [...] – que ce soit avec le consentement, contre la volonté ou à l'insu des personnes concernées » et en particulier « les formes de psychothérapie, notamment les thérapies dites d'aversion, les procédés psychanalytiques, mais aussi les approches de conseil et d'intervention motivées par la religion, y compris les interventions de groupe, et enfin les mesures auto-organisées » font partie du SOCE. Ce sont surtout des témoignages personnels qui informent sur les mesures appliquées : « travail biographique, bannissement des pensées homosexuelles, pratiques religieuses, psychiatrisation forcée [...], thérapie par aversion et électrochocs, clitoridectomie, lobotomie, hystérectomie, renforcement des comportements sexistes et hétéronormatifs, y compris la fréquentation de prostituées de sexe opposé, entraînement de compétences orientées vers l'hétérosexualité ou conformes au genre, administration de divers médicaments ainsi que désensibilisation systématique ».
L'histoire de la pathologisation médicale et psychologique de l'homosexualité commence au 19e siècle. Malgré l'évidence de ce lien, l'influence de la morale chrétienne et d’autres religions sur une médecine et une psychologie homophobes n'a, à ma connaissance, pas encore été étudiée de manière systématique. Une distinction a été faite entre une homosexualité congénitale, non influençable, et une homosexualité socialement acquise, pouvant être traitée. « Cette médicalisation historique est étroitement liée à une criminalisation et à une conception coloniale de la bisexualité et de l'hétérosexualité. Ainsi, la sexualité de deux ou plusieurs personnes du même sexe et une expression de genre qui transgresse les normes socialement cautionnées étaient interdites dans une grande partie du globe jusqu'au 20e siècle et en partie encore aujourd'hui. Parallèlement, la médicalisation et, par conséquent, l'établissement social de classifications et de représentations binaires rigides des genres ont connu un pic à l'époque des Lumières européennes et du colonialisme. Les idéaux et les normes de la binarité des genres qui prévalaient à l'époque moderne ont été fabriqués à l’examen de personnes noires, pour la plupart des esclaves. Si les personnes noires et les personnes de couleur étaient généralement représentées comme hypersexualisées et animales, les personnes blanches étaient, au contraire, décrites comme civilisées et dignes d'un idéal d'humanité. Elles étaient plus susceptibles d'obtenir (au moins certaines d’entre elles) des droits civiques. Des formes de déshumanisation de ce type sont encore partiellement efficaces aujourd'hui ».
Les stéréotypes sont repris et renforcés par la médecine et la psychologie, comme le montre l'histoire des classifications internationales de référence de l'OMS (CIM) et le DSM (Manuel statistique des troubles mentaux) de l'American Psychological Association (APA). En 1968, l'OMS et en 1952 l'APA ont classé l'« homosexualité » comme une maladie. Cette catégorie a été respectivement supprimée en 1990 et 1973. Dans la CIM-10 (1994) et le DSM-III (1980), le terme « ego-dystonic sexual orientation » a été introduit pour décrire une maladie et supprimé en 2019 et 1987. Le transsexualisme a été catégorisée dans la CIM-10 (1994) et dans le DSM-III-R (1987) sous le nom de « gender identity disorder ». Dans la CIM-11 actuelle (2022), il est appelé « gender incongruence » – « gender dysphoria » dans le DSM-5 (2013). L'incongruité de genre désigne « l’expérience marquée et persistante d'une personne selon laquelle son identité de genre ne correspond pas au genre qu'on attend d'elle en raison du sexe qui lui a été assigné à la naissance ». Quant à la dysphorie de genre, elle désigne « l'inconfort ou [le] stress lié à une incongruence entre l'identité de genre d'une personne et le sexe qui lui a été assigné à la naissance ».
L'histoire des catégorisations médicales et psychologiques a des conséquences sur l'évaluation technique des thérapies de conversion. En effet, la notion de thérapie, habituellement utilisée, est erronée, car (1) l’homosexualité ne constitue pas une maladie ou un trouble. Cela n’est donc pas une indication pour des mesures thérapeutiques. (2) Des interventions sont appliquées, alors qu’elles ne relèvent pas de la thérapie, telle qu’elle définit sur le plan médical et psychologique. « Compte tenu de l'absence d'indications et de preuves d'un effet sur le critère cible ainsi que du large éventail d'effets négatifs individuels et sociaux, la mise en œuvre de SOGIECE manque d’évidences d'un point de vue médico-psycho-thérapeutique et sexologique. S'il y a un stress psychologique dû à une orientation non hétérosexuelle, ce stress peut être le point de départ d'une consultation ou d'une thérapie menée de manière appropriée, qui ne doit pas avoir pour but la modification de l'orientation sexuelle ». La discussion actuelle sur les SOCE est soumise à deux réserves :
(1) Comme pratiques discriminatoires et méprisantes, les SOCE ne peuvent être légitimées, quel qu'en soit la justification. Représentante de nombreuses institutions médicales, la World Medical Association déclare: « La WMA condamne sans équivoque les méthodes dites "de conversion" ou "de réparation". Celles-ci constituent une violation des droits de l'homme et des pratiques injustifiables qui devraient être dénoncées et faire l'objet de sanctions et de pénalités. Il est contraire à l'éthique médicale de participer de quelque manière que ce soit à de telles procédures ». Le nombre croissant de témoignages de personnes concernées, d'articles de journaux et de récits de cas confirment de manière bouleversante les pratiques inhumaines, dangereuses pour la santé, préjudiciables et leurs conséquences néfastes pour la vie des personnes concernées. C'est pourquoi, on ne peut pas parler des SOCE indépendamment de la violence exercée contre les personnes qui ne correspondent pas au cadre de la norme religieuse, morale, médicale et psychologique. La longue histoire de la culture homophobe est renforcée par le passage d'une violence initialement dirigée contre les corps des étrangers à une violence exercée contre les corps de sa propre communauté et contre son propre corps. L'État moderne, lui, revendique la violence physique contre l’extériorité de la personne (monopole de la violence), laissant la violence corporelle dirigée sur l’intériorité personnelle en grande partie aux processus sociaux de normalisation et de discipline. Comme l'État est responsable de la violence extérieure, l'agression intérieure, qui n'est pas moins brutale, est moins perçue comme une injustice, moins démasquée et sanctionnée. Sous le couvert d'une citoyenneté apaisée, se répand une violence contre le corps non conforme. Cela n'existait pas auparavant (sous cette forme). Ce sont le corps féminin reproductif et le corps masculin qui sont particulièrement touchés par cette violence, dans la mesure où ils ne correspondent pas aux représentations sociales normatives. Au 19e siècle, le sexe devient un objet public de sanctions juridiques et le plaisir érotique un objet d'observation, d'évaluation et de manipulation scientifiques. Ce n'est pas un hasard si le néo-luthérianisme développe à cette époque sa doctrine des ordres de la création et une morale sociale et théologique répressive fondés sur un droit naturel parasite. La révolution sexuelle des années 1960/70 n'a pas changé grand-chose à l'alliance traditionnelle des rapports de force alliant masculin et homophobie, que seul un libéralisme bourgeois tardif, sensible à la diversité, a réussi à éradiquer.
(2) Inversement, une discussion objective sur les SOCE est rendue difficile par une morale de censure qui, prétendant à un monopole sur le bien, rend taboues toute discussion sur les droits. Ces hégémonistes moraux diabolisent le manque d'obéissance à la norme avec le même esprit communautaire quasi-religieux que les sociétés homophobes qui diabolisent celles et ceux qui s'écartent de la culture de référence hétéronormative. Cela fait que les mesures SOCE, qui n'apparaissent guère en public, sont mises en œuvre dans des communautés autoritaires largement fermées et sont protégées par une clientèle attachée à la morale communautaire. Bien que l'ampleur réelle de ce phénomène en Suisse reste obscure, on estime que plus de 14 000 personnes sont concernées.
Au niveau national et cantonal, des interventions pour et contre une interdiction légale des thérapies de conversion ont été lancées à plusieurs reprises ces dernières années. Rosemarie Quadranti s'y est engagée dans son interpellation 16.3073 « Interdire et punir les thérapies visant à "guérir" l'homosexualité chez les mineurs » du 10.03.2016 et dans sa motion 19.3840 « Interdire la "guérison" des jeunes homosexuels » du 21.06.2019. L'initiative cantonale du canton de Lucerne 22.310 « Interdiction des thérapies de conversion » du 03.06.2022 appuie cette demande en affirmant que les SOCE constitueraient « une atteinte injustifiable à la sphère privée et à l'intégrité des personnes concernées ». L'initiative cantonale de Bâle-Ville 22.311 « Interdiction des thérapies de conversion en Suisse » du 07.06.2022 ajoute que « ces traitements prétendument "réparateurs" sont pratiqués par différentes personnes, issues de milieux professionnels divers (médecins, coachs, conseiller·ères en sexualité, ecclésiastiques). Les médecins qui enfreignent leurs obligations professionnelles en pratiquant une thérapie de conversion doivent s'attendre à des mesures disciplinaires. Or, il n'existe aucun moyen d'action contre les thérapies de conversion pratiquées par les autres corps de métiers. Les thérapies de conversion sont extrêmement traumatisantes pour les personnes concernées. De nombreuses études le prouvent. [...] Il faut empêcher de telles pratiques en Suisse. [...] Une loi correspondante doit avoir une portée aussi large que possible et s'appliquer en particulier aux cas où des mineurs sont concernés ». La nécessité d'une réglementation juridique est due aux situations observées dans les autres pays européens. Angelo Barrile l’explique dans son interpellation 20.3870 « La Suisse est un refuge pour les "guérisseurs d'homosexuels" » du 19.06.2020. « En raison de cette interdiction dans notre pays voisin [l'Allemagne ; FM], la Bruderschaft des Weges, s'est constituée en tant qu’association distincte en Suisse. Cette nouvelle association est issue à l'origine de Wüstenstrom qui est l’organisation la plus connue en lien avec les « thérapies visant à "guérir" l'homosexualité » (Homoheiler-Therapien) néfastes. Le déplacement de ces activités vers notre pays suggère que les lois en Suisse ne permettent pas d’empêcher de telles pratiques. ».
Les revendications vont plus ou moins loin. Ainsi, l'initiative parlementaire 21.497 (Sarah Wyss) « Interdiction et pénalisation des mesures de conversion dans toute la Suisse » du 30.09.2021 et la motion 22.3889 de la Commission des affaires juridiques CN « Interdire et pénaliser les thérapies de conversion des personnes LGBTQ » du 18.08.2022 limitent la portée de ces thérapies : « Cette interdiction ne devrait notamment pas englober : – les discussions ouvertes sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, qui sont menées en présence de professionnels et conformément aux directives des associations professionnelles pertinentes en matière de mesures psychothérapeutiques ; – les mesures médicalement nécessaire pour le changement de sexe ; – les thérapies visant à traiter des préférences et comportements sexuels qui sont considérés comme des infractions pénales (comme l'exhibitionnisme ou la pédophilie)
Contre une interdiction légale des SOCE, le postulat 21.4474 (Erich Siebenthal) « Examen de la diffusion des thérapies dites de conversion en Suisse et de la nécessité d'une réglementation légale » du 16.12.2021 indique que « la situation n'est pas claire. Il n'existe pas encore d'étude sur ces pratiques qui montrerait les cas problématiques qui se produisent aujourd'hui en Suisse et la manière dont le droit en vigueur répond à ces situations. De plus, la complexité du sujet requiert une formulation législative exigeante et des fondements solides. Il faut également tenir compte du fait que le droit à l'autodétermination sexuelle des personnes qui cherchent un soutien approprié à leurs convictions doit être respecté ». L'Alliance évangélique suisse (AES) se rallie à la position du Conseil fédéral qui refuse toute initiative et souligne que « l'adoption de nouvelles lois n'est pas une stratégie appropriée. Au contraire, elle risque d'être contre-productive : en voulant mieux protéger le droit à l’autodétermination sexuelle, elle le limiterait. En outre, il y a un risque de limiter d'autres droits dignes d'être protégés, comme la liberté d'opinion, de conscience, de religion et la liberté de choisir sa vie ».
Le Conseil fédéral a longtemps eu une position défensive. Certes, dans sa prise de position sur l'interpellation 16.3073 Quadranti, il constate que « de telles thérapies ne sont pas seulement inefficaces, mais qu'elles sont liées à une souffrance considérable pour les enfants et les jeunes concernés ». En même temps, « il n'existe pas de possibilité ou de nécessité d'action spécifiquement centrée sur la protection des mineurs contre les thérapies et contre l'homosexualité ». La loi sur les professions de la psychologie garantit la protection nécessaire. « La mise en œuvre de thérapies visant à guérir l'homosexualité, que ce soit sur des mineurs ou des adultes, constitue une violation de ces obligations professionnelles ». L'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte (APEA) doit être contactée en cas de risque potentiel pour un enfant. Cependant, selon le Conseil fédéral, les thérapies de conversion sont incompatibles avec l'éthique professionnelle des spécialistes, c’est pourquoi il faut partir du principe que « ce sont surtout les offres de "guérisseurs autoproclamés" qui sont utilisées. La pratique de telles thérapies constitue un délit, mais ne peut être jugée qu'au cas par cas devant un tribunal. [...] Les Églises sont compétentes pour garantir l'éthique professionnelle dans le domaine de l'assistance spirituelle ecclésiastique ». Entre-temps, le Conseil national a adopté le postulat 21.4474 von Siebenthal qui demande (1) une définition des « thérapies dites de conversion » ; (2) un examen de l'ampleur réelle des pratiques en Suisse ; (3) une évaluation de la capacité du droit actuel à répondre à cette problématique. Le Conseil fédéral est d'avis qu’« il convient d'attendre les résultats de ce rapport avant de décider des éventuelles modifications du droit fédéral doivent être apportées ».
Les 29 Yogyakarta Principles on the Application of International Human Rights Law in relation to Sexual Orientation and Gender Identity (principes de Yogyakarta sur l'application du droit international relatif aux droits de l'homme en matière d'orientation sexuelle et d'identité de genre), élaborés par une commission internationale de juristes et le Service international des droits de l'homme (SIDH), ont été adoptés en novembre 2006. Ils ont été complétés en novembre 2017 par neuf autres principes et 111 obligations étatiques supplémentaires en vue de répondre aux besoins spécifiques des personnes trans* (« The Yogyakarta Principles plus 10 »). Ces deux documents présentent une lecture postcoloniale des documents classiques sur les droits de l'homme et reconnaissent que « cette présentation doit se fonder sur l'état actuel du droit international relatif aux droits de l'homme. Elle doit être régulièrement révisée afin de tenir compte de l'évolution de ces droits et de leur application à la vie et à aux expériences des personnes ayant des orientations sexuelles et des identités de genre différentes. » (préambule). Ces principes s'écartent de manière marquante de la nomenclature établie:
« Le droit à la protection contre les mauvais traitements médicaux » (principe 18) : « Nul ne peut être contraint de subir une forme quelconque de traitement, d'examen ou de mesure médicale ou psychologique, ni d’être admis dans un établissement médical, en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. Contrairement à certaines affirmations, l'orientation sexuelle et l'identité de genre d'une personne ne sont pas des maladies et ne doivent donc pas être traitées, guéries ou supprimées ».
« Le droit à un recours juridique effectif et à une réparation » (principe 28) : « Toute personne victime d'une violation des droits de l'homme, incluant celles fondées sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, a le droit à un recours juridique efficace, adéquat et suffisant. Les mesures visant à aider les personnes ayant une orientation sexuelle ou une identité de genre différente à obtenir réparation ou un soutien approprié font partie intégrante du droit à une protection juridique et à une réparation effectives ».
« Responsabilité » (principe 29) : « Toute personne dont les droits de l'homme, y compris ceux énoncés dans ces principes, ont été violés, a le droit d'exiger que les personnes directement ou indirectement responsables de cette violation rendent compte de leurs actes. Qu'ils soient ou non des représentants des autorités, ils doivent être tenus responsables de manière proportionnée à la gravité de la violation. Toute personne blessant d'autres personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre doit être punies. ».
Du deuxième document de 2017, on peut relever « Le droit à la protection contre la criminalisation et les sanctions fondées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles » (principe 33) que « aucune personne ne doit être sanctionnée en raison de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son expression de genre ou de ses caractéristiques sexuelles, réelles ou supposées. ».
«Having rights but no resources and no services available is a cruel joke ». – Posséder des droits sans avoir accès à des ressources et à un soutien est une cruelle plaisanterie. La question de la portée et de l'égalité d'accès aux droits de l'homme et aux droits fondamentaux se pose à partir du moment où il devient clair que les étiquettes « humain·es » et « citoyen·nes » n'incluent pas chaque personne. Pour qu'une personne puisse jouir des droits fondamentaux à la liberté et à la justice, elle doit être respectée et reconnue en tant qu’« être humain » et « citoyen·ne », en tenant compte de toutes les composantes de son identité. La focalisation moderne sur l’universalité du droit entraîne une dissimulation systématique des définitions discriminatoire, raciste et sexiste de ce qui constitue un être humain et un·e citoyen·ne, qui font une distinction entre les attributs considérés comme « normaux » et ceux jugés « anormaux » ou déviants. Le problème de l'inégalité ne réside pas dans la simple légalité formelle de la personne, mais dans la restriction des attributs de la personne, pourtant assurés et protégés par la loi.
La controverse entre la nécessité d'une normalisation pénale des thérapies de conversion (3.1), le principe de l'autodétermination (3.2) et les déclarations des droits de l'homme (3.3) consiste en l’évaluation différente de l’inclusivité et de l’efficacité des systèmes juridiques en place. Les positions 3.1 et 3.3 préconisent, d'un point de vue de critique morale, une normalisation explicite dans le domaine du droit pénal ou des droits de l'homme, afin de punir efficacement les thérapies de conversion et de garantir une protection adéquate aux personnes affectées par ces pratiques. En revanche, la position 3.2, dans une optique libérale, estime que les lois actuelles et les normes déontologiques en place sont adéquates. Les deux parties peuvent avancer des arguments plausibles, mais les deux types d'arguments supposent l'existence d'une personne et d'une fonction juridique qui ne correspondent pas à la réalité. Cette difficulté était déjà présente chez Emmanuel Kant, qui imaginait l’univers de la raison pratique comme une cour de justice mondiale où les sujets autonomes, à l'instar de Iustitia, la déesse de la justice, arpentent le monde les yeux bandés et rencontrent leur prochain "sans considération de la personne"..
Le sujet de droit moderne ainsi construit constitue – pour reprendre une image de Slavoj Žižek – une sorte de citoyen standard décaféiné : « De nos jours, on trouve sur le marché toute une série de produits auxquels on a retiré leurs mauvaises propriétés, comme le café sans caféine, la crème sans graisse et la bière sans alcool. Et la liste est encore longue : pourquoi pas le sexe virtuel comme sexe sans rapport sexuel ? Ou la doctrine de Colin Powell de la guerre sans victimes (de notre côté, bien sûr) comme une guerre sans guerre ? ». Les personnes de même sexe, ceux qui ressentent des sentiments non conformes au genre, ou les personnes trans*, sont traités de manière égale à conditions qu'elles fassent abstraction de leur identité de genre, afin d'éviter toute confrontation à ce sujet. Les traits de la personne qui sont respectés et reconnus correspondent précisément à l'image dominante cis-hétéronormative de l'être humain. Le principe d'égalité moderne ne rencontre pas de difficulté avec le sujet de droit formel sur lequel il est basé. Cependant, il rencontre d'énormes problèmes avec la réalité politique, où les conceptions morales de l’être humain influencent la reconnaissance d'une personne en tant que sujet de droit. L'égalité universelle se manifeste par une soustraction, où tout ce qui va à l'encontre des normes et des exigences de conformité n’est pas pris en compte.
Si cette brève analyse du sujet de droit moderne est exacte, la controverse entre les trois positions se résout car chacune d'entre elles se focalise à sa manière sur une conception erronée du droit. La position de l'autodétermination invoque à juste titre la validité universelle des droits de la personnalité, tandis que les positions du droit pénal et des droits de l'homme critiquent également avec justesse les interprétations particulières de ce qui doit être protégé pour chaque individu. Cependant, toutes trois négligent le fait que le droit n'est qu'un régulateur pour les perceptions et les jugements qui orientent notre pratique dans la vie quotidienne. Le droit exige souvent de détourner le regard là où il est justement nécessaire de porter attention. Les environnements sociaux, les communautés et les sociétés se construisent par l'attention, la visibilité, la présence et la reconnaissance, et non par l'occlusion artificielle de ce qui constitue précisément une personne. Les discriminations, les stigmatisations et les exclusions dénoncées ne sont pas strictement un problème de droit (qui présuppose bien sûr la reconnaissance égale de tous en tant que sujets de droit), mais les indices d’une morale qui instrumentalise le droit à ses fins. C'est pourquoi il est légitime de se demander si les inégalités de traitement préoccupantes peuvent être résolues par des moyens juridiques.
Lors des travaux du Conseil de l’EERS sur le thème de la « conversion religieuse dans le cadre de la procédure d'asile », est survenu un malentendu : le changement de croyance religieuse a été confondu avec les thérapies de conversion. Ces sujets sont bien distincts, mais ils partagent néanmoins le concept de conversion, qui est étroitement lié aux convictions religieuses, bien que pas exclusivement. Dans la perspective de la conversion religieuse, le théologien Henning Theissen a remis en question que dans le processus d’asile l’on traite de manière équivalente (sur le plan juridique) les croyances religieuses et l'orientation sexuelle arguant que contrairement à la confession religieuse, l'orientation sexuelle ne peut être changée. Indépendamment de la validité de cette distinction, la question de la décaféination du sujet de droit se pose également ici : de quels aspects de son identité peut-on exiger d'une personne qu'elle renonce à ce qu’elle puisse s’exprimer publiquement ? Peut-on attendre d'une personne vivant dans une société religieuse répressive qu'elle restreigne la pratique de sa foi à la sphère privée pour éviter d'être persécutée religieusement ? De même, peut-on exiger d'une personne vivant dans une société cis-hétéronormative qu'elle dissimule son identité de genre en public afin d'éviter la discrimination et la stigmatisation ?
La comparaison entre ces deux contextes de conversion est révélatrice. La croyance religieuse et l'orientation sexuelle sont abordées de manière similaire dans le débat sur l'asile : elles sont considérées comme des raisons d’un danger effectif dans le pays d'origine – et un danger que l’on ne peut vouloir imposer à la personne qui est concernée par lui. Cependant, dans le contexte du « changement de sexe », elles entrent en conflit, lorsque la croyance religieuse détermine et condamne ce qui est considéré comme une orientation sexuelle « bonne » ou « mauvaise ». Ce qu’il faut relever, ce n'est pas tant que certains courants religieux imposent une morale sexuelle strictement hétéronormative, mais plutôt comment ils gèrent les identités religieuses et sexuelles en conflit. En réalité, ils résolvent ce conflit identitaire en confrontant l'identité religieuse à l’orientation sexuelle « bonne » ou « mauvaise ». Mais qu'implique réellement l’orientation sexuelle ?
« Le mot "orienter" vient du latin oriens, "qui se lève". L'"Orient", vu de l’Europe, est le pays qui se trouve dans la direction du "soleil levant" (sol oriens), par rapport à l'"Occident", le pays à l'ouest où il se couche (sol occidens). "Orienter" signifie donc à l'origine "se tourner vers l'Est" ». Toutes les orientations ont en commun « qu'elles ont affaire à des "espaces de jeu" où diverses alternatives se présentent, nécessitant ainsi des prises de décision dans l'incertitude, ce qui demande du courage. Par conséquent, bien que les orientations partagent des structures communes, elles ne sont pas uniformes et ne devraient pas l'être afin de tenir compte des situations individuelles ». Pour s'orienter, une personne doit non seulement connaître l’ordre dans lequel elle se trouve, mais doit aussi pouvoir s'y situer, c'est-à-dire identifier sa position dans cet ordre. Selon cette interprétation, l'identité religieuse serait le cadre dans lequel la personne doit se placer en fonction de son sexe et de sa sexualité. Cette interprétation reflète essentiellement une vision chrétienne fondamentaliste, tout comme la doctrine néo-luthérienne des ordres de la création, qui considèrent l'orientation sexuelle comme une question de prescriptions bibliques ou de normes quasi-naturelles. Ainsi, tomber amoureux, ressentir des désirs et avoir des relations sexuelles deviennent des lieux de tests moraux, semblables à la situation d’une vieille dame attendant d'être aidée à traverser la rue ou à un portefeuille devant être remis aux objets trouvés sans être dépouillé au préalable.
La notion d'orientation s'avère trompeuse, car elle sépare l'attirance sexuelle des concepts d'identité sexuelle, de genre et d'expression, les dissociant catégoriquement. Elle réduit l'identité de genre d'une personne à une question secondaire de comportement vertueux. Cependant, du point de vue de l'identité personnelle : (1) l’identité de genre (y compris l’attirance) « ne peut pas être dissociée de l'identité d'une personne, pas plus qu'une croyance ne peut déterminer entièrement une personne ». Sans son identité de genre, la personne ne serait pas elle-même. (2) De plus, « l'identité d'une personne ne se limite pas à son monde intérieur, mais se manifeste également dans la manière dont elle est perçue et identifiée par les autres. L'identité personnelle intrinsèque et l'identification sociale sont étroitement liées, formant une relation de résonance indissoluble. Dans les deux cas – qu'il s'agisse de l'orientation sexuelle ou de l'identité religieuse – la dimension sociale est constitutive de l'identité personnelle ». Cependant, l'erreur des partisans religieux de la conversion ne se limite pas à contester simplement l'identité sexuelle d'une personne, mais également à remettre en question son identité religieuse en tant que croyant. Quelle est cette foi lamentable qui refuse de concevoir que le Christ peut habiter naturellement en toute personne, qu'elle soit gay, lesbienne, trans*, ou de toute autre identité de genre ou d'orientation sexuelle ? Pourquoi un langage religieux qui prône si ostensiblement l'amour reste-t-il muet précisément là où les sentiments et les émotions s'expriment le plus directement et avec la plus grande intimité et tendresse ? Pourquoi la dévotion, que l'amour chrétien devrait incarner avec une profondeur particulière, se laisse-t-elle entraîner dans une moralité étroite et hypocrite ?
En réalité, une perspective chrétienne, formée dans la tradition théologique paulinienne, ne devrait pas être surprise par la pluralité et la diversité des formes de vie humaines. L'irritation provient du fait que la théologie a évité, tel le diable fuyant l'eau bénite, d'aborder la question de ce que signifie pour l'identité sexuelle le fait que ce ne soit plus moi, mais le Christ qui vit en moi (Gal 2,20). La défense d'une morale cis-hétéronormative par le biais d'endoctrinement, de stigmatisation et de la déformation violente de la personnalité d'enfants et d'adolescents mineurs, ainsi que d'adultes, constitue précisément ce que la Bible qualifie d'idolâtrie. L'orientation sexuelle n'est pas une conviction religieuse, car ces deux catégories réduisent l'identité sexuelle et religieuse à un aspect secondaire. En revanche, une foi qui influence l'ensemble de la vie ne peut exister que si l'identité religieuse et l'identité de genre sont indissociables chez le croyant.
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