Manuel d’exégèse du Nouveau Testament 

Christian Grappe (Labor et Fides, 2023) 

Porter un regard critique sur l’exégèse du Nouveau Testament ? Ce n’est probablement pas l’objectif de Christian Grappe dans son Manuel d’exégèse du Nouveau Testament. Dommage. Il n’en demeure pas moins que cette lecture constitue une synthèse édifiante tant pour l’expert·e que pour le·a débutant·e. Voilà donc un excellent compagnon pour cheminer sur les sentiers sinueux de l’exégèse ! 

Un guide pédagogique pour l’exercice exégétique 

Professeur de Nouveau Testament à la faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg depuis 1993, Christian Grappe a récemment publié, chez Labor et Fides, un Manuel d’exégèse du Nouveau Testament (2023). L’auteur y divise la démarche exégétique en quatre phases : 1) une première approche (synchronique) du texte ; 2) les approfondissements diachroniques ; 3) la confrontation au regard d’autrui ; 4) et la synthèse – cette dernière étape visant à faire passer le cap de l’interprétation. Chacun de ces quatre temps est minutieusement décrit, dans la première partie de l’ouvrage (pp. 21-160), intitulée sobrement « Introduction à la méthode exégétique ». Il apparaît, entre ces pages, que l’exégèse à proprement parler (les étapes 1 à 3) se détache de l’exercice d’interprétation (l’étape 4). À travers ce parcours, l’auteur reprend minutieusement les différentes démarches et outils utiles aux débutant·es comme aux expérimenté·es : 

  1. La critique textuelle, l’étude du contexte littéraire, l’établissement du texte, la question de la traduction et l’analyse littéraire pour la première phase. 

  1. L’histoire des formes, de la tradition et de la rédaction, l’intertextualité et la sémantique pour la deuxième. 

  1. L’importance de la littérature secondaire pour la troisième. 

  1. Et finalement, la quête du sens et l’interprétation pour la quatrième et dernière phase. 

À travers de nombreux excursus et tableaux récapitulatifs, Christian Grappe met en lumière les différents temps de l’exégèse avec une grande pédagogie – tout en cherchant à inclure un large public. Ainsi, il déclare qu’« il est parfaitement possible de mener une enquête exégétique sans être pour autant croyant et d’atteindre des résultats qui ne seront pas moins légitimes » (p. 9). 

La deuxième partie du manuel est consacrée à une « Proposition d’exégèse d’Actes 12 » (pp. 161-198). Autrement dit, il s’agit d’une mise en pratique des outils et démarches présentés dans la première section. Finalement, au terme de l’ouvrage, se trouve un glossaire proposant des définitions de nombreux concepts abordés au cours de la présentation de la méthode exégétique (pp. 199-207). Ces deux outils renforcent la dimension pédagogique du Manuel d’exégèse du Nouveau Testament, qui propose une présentation synthétique et pertinente de cet exercice dans toute sa complexité. 

Il faut tout de même mettre en lumière une limite de cet ouvrage à vocation pédagogique, que l’auteur souligne lui-même lorsqu’il déclare qu’il « [plaide] résolument en faveur d’une complémentarité des approches » (p. 112) ou encore « qu’il n’y a pas, au terme de la démarche exégétique, une seule lecture possible mais que, par le poids que l’on accorde aux différents indices dont on dispose, on peut être mené à nuancer sensiblement le propos, voire, dans certains cas, à conclure de façon différente » (p. 145). En effet, la présentation par étapes donne à voir une méthode linéaire qui progresse d’une phase à l’autre. Or, l’exégèse est plus complexe que cela, puisque les différents temps s’interpellent et s’interpénètrent tout au long de l’exercice, de sorte que la mise en pratique demande généralement une grande souplesse et beaucoup d’imagination. 

Une maladresse qui en dit long 

Au terme de ce rapide parcours, un regard attentif et préalablement sensibilisé aux questions de genre et d’inclusion ne pourra s’empêcher de relever que, dans le discours de Christian Grappe, il semble y avoir des croyantes et des croyants (p. 8), des étudiantes et des étudiants (p. 34 et 142), des lectrices et des lecteurs (p. 76), des exégètes à la fois masculins et féminins (p. 102) ; mais souvent seulement des lecteurs (p. 26), des auteurs, des compilateurs (p. 111), des étudiants et des chercheurs (p. 140). Bien que cela révèle certainement un effort inclusif et/ou une certaine maladresse, il n’est pas anodin de constater que le domaine des sciences bibliques ne fait encore que peu de place au féminin. Cela se reflète également en introduction de l’ouvrage : dans le bref état de la recherche proposé par l’auteur, 12 noms d’hommes sont cités (M.-A. Chevallier, H. Conzelmann, A. Lindemann, D. Marguerat, Y. Bourquin, J.-N. Alletti, M. Gilbert, J.-L. Ska, L. Bulundwe, S. Butticaz, U. Schnelle, D.R. Law), contre seulement 2 noms de femmes (S. de Vulpillières, C. Dandelot). 

Que faut-il déduire de telles observations ? Sans condamner l’auteur de ces lignes, il me semble que l’on peut tout de même relever que l’égalité n’est encore que théorique dans le champ de l’exégèse et que le chemin est encore long pour parvenir à une représentation diversifiée des genres dans les discours en sciences bibliques. 

La vaine quête de la « neutralité » 

Afin d’y parvenir, peut-être faudrait-il commencer par renoncer à la quête utopique du « neutre » et de l’« objectif » qui structure encore la démarche exégétique. En effet, Christian Grappe définit cet exercice en déclarant que « l’exégèse a vocation à respecter le texte, à se mettre à son écoute, à découvrir sa propre logique et son propre fonctionnement, et non pas à lui imposer nos propres présupposés de sorte qu’il nous serve, en quelque sorte, de prétexte » (p. 8). Ainsi, « en reprenant une distinction opérée par Paul Ricoeur, on pourra distinguer l’étape, tendue vers l’objectivité, de la définition du sens du passage et celle, forcément subjective et qui doit en résulter, de son interprétation proprement dite qui suppose un "mouvement existentiel d’interprétation" » (p. 146). En d’autres termes, il s’agit de distinguer clairement l’exégèse-objectivité de l’interprétation-subjectivité. Or, qui peut prétendre être absolument détaché de son contexte ? Quelle analyse (exégétique ou non) peut véritablement s’émanciper de son auteur·ice ? Personne. Aucune. La première étape vers une plus grande inclusivité réside – à mon avis – dans la reconnaissance de nos biais. Puisqu’après tout, le neutre est la subjectivité des dominants (Alice Coffin, Le génie lesbien, Paris, Bernard Grasset, 2020). 

En somme, malgré ces quelques éléments qui me sembles améliorables, amateur·ices et expert·es du travail d’exégèse trouveront ici un allié de qualité. En effet, le Manuel d’exégèse du Nouveau Testament constitue à la fois un aide-mémoire pour les habitué·es et un guide à destination des débutant·es. Néanmoins, sans prétendre que l’exégèse ne doit pas « se mettre à l’écoute du texte », il s’agirait de reconnaître que la manière dont on l’entend est toujours influencé par une part de notre subjectivité. 

Christian Grappe, Manuel d’exégèse du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 2023.  

Marie Duruz est théologienne, Doctorante en Nouveau Testament à l'Université de Lausanne.

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Marie Duruz

Théologienne
Doctorante en Nouveau Testament à l'Université de Lausanne

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2 réponses

    1. Selon moi, cela dépend de ce qu’est le « lecteur lambda ». L’ouvrage présente les outils de travails qui permettent de comprendre l’établissement du texte et de reconstituer le contexte historique. Aussi, il ne va pas directement éclairer le texte biblique, mais permettre de comprendre les analyses développées à partir dudit texte.
      Si le « lecteur lambda » cherche un éclaircissement direct du texte, je pense donc que ce n’est pas le bon livre. Si, au contraire, il souhaite comprendre mieux la méthode des auteur·ices qui produisent des textes explicatifs, alors oui.

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