Les temps ont changé : autrefois, il n’y avait pas vraiment de dimanche, car la société agraire n’acceptait pas que le travail soit interrompu. Dans la société de loisirs d’aujourd’hui, le dimanche est tout au plus une option.
Le repos dominical est dû à une invention de Constantin 1er. En l’an 321, il instituait le jour de repos dominical pour des raisons politiques (dies solis, jour du soleil). La justification théologique est venue ensuite. Les premiers chrétiens et les réformateurs s’en référaient à Marc 2, 27 : « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. » Ce n’est qu’au cours du 18e siècle que le repos dominical s’est imposé pour de bon, en réaction aux mutations sociales provoquées par l’industrialisation croissante.
Semaine après semaine, le dimanche rappelle la résurrection du Christ. C’est le premier jour de la semaine, celui où les premiers témoins se sont rendus au tombeau du Christ et ont fait une expérience bouleversante : Il est vivant, Il est ressuscité, Il n’est pas ici. Chaque dimanche est donc un reflet de Pâques.
Et davantage encore : ce jour férié chrétien intègre le sens que le judaïsme confère au septième jour de la semaine, à savoir celui du sabbat (samedi). C’est le jour de repos, où cessent le travail et les activités économiques. Le dimanche montre de manière symbolique que notre qualité d’êtres humains ne se manifeste pas seulement dans nos performances.
Il est important de pouvoir mener une vie autodéterminée. Cependant, la vie comporte aussi une dimension communautaire. La famille, les amis, les voisins génèrent des interactions qui ont besoin de temps, régulièrement, à intervalles fixes et simultanément. Celles et ceux qui travaillent le dimanche manquent le rendez-vous, et souvent, ce sont des femmes qui sont concernées. Les familles surtout, quelle que soit leur configuration, connaissent trop bien les difficultés de coordination. Or, comme un sommeil régulier, la régularité du dimanche est un atout majeur : elle rend la vie plus humaine – et plus saine. Le jour de congé commun a donc une valeur sociale pour la société tout entière. Les Églises s’en font les avocates.
Et elles célèbrent le dimanche, inébranlables. Dans le meilleur des cas, elles parviennent à faire sentir que « ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4), à savoir que nous sommes tributaires d’une attention et d’un sens que nous ne pouvons pas nous donner nous-mêmes.
Le culte fait partie du dimanche et il est public. Le dimanche, la communauté se rassemble pour le culte et célèbre la sainte cène à intervalles réguliers. Le rassemblement, la communauté, le partage d’un temps et d’un lieu communs sont des aspects centraux du dimanche. La foi chrétienne vit de la simultanéité de la communauté. Si la communauté et la simultanéité sont des ingrédients indispensables pour l’Église, elles le sont aussi, et à plus forte raison, pour la société dans son ensemble.
Le vécu du culte, en effet, se retrouve aussi en dehors du culte, dans d’autres contextes, chaque fois que nous avons du temps à partager, du temps pour des moments essentiels et féconds hors du contexte laborieux, à intervalles réguliers et sans avoir à se battre pour les obtenir. C’est cette rythmicité qui prévient le « burnout » de la société. Le dimanche libre et commun a donc un sens spirituel non seulement pour les croyants mais pour chacune et pour chacun. Les Églises s’engagent en faveur de son maintien pour le bien de la société tout entière.
Honnêtement, que nous apporte le dimanche ? La question n’est pas anodine. Un jour pour aller au culte : mais qui y va ? Un jour pour la famille : mais qui y tient vraiment ? Un jour pour se reposer : mais comment, si une bonne partie des offres de loisirs sont au repos … pour cause de repos dominical ? Un jour pour quitter le train-train quotidien : à quoi bon si c’est pour se retrouver confronté à sa solitude, plus facile à supporter dans un quotidien bien rempli ?
Le dimanche se révèle être un dispositif ambigu. Se poser la question du dimanche nous le révèle : a priori connoté positivement, le dimanche comporte aussi ses zones d’ombre, des ombres qui se jettent non sur le jour lui-même mais sur nos vies tellement bien rodées que la coupure du dimanche devient parfois difficile à supporter.
Compte tenu de la flexibilisation du travail, des possibilités d’évasion à bas prix vers les métropoles européennes et d’une industrie des loisirs florissante, le dimanche ressemble à une institution quelque peu rigide venue d’un autre temps. Voilà qui parle en défaveur d’un jour de repos fixe et généralisé. Or, c’est bien pour cette raison que le dimanche est indispensable.
Du fait même de son existence, le dimanche constitue une provocation. L’argument le plus souvent invoqué pour ne pas rencontrer telle ou telle personne est : « Pas le temps ». Le dimanche bouscule cet argument. Impossible d’éviter la famille, la parenté ou les amis avec cette excuse.
Dans nos agendas, le dimanche brille soit par son absence, soit par l’exiguïté de la place qui lui est attribuée. Le dimanche révèle une réalité désagréable : la fuite n’est pas si simple, fuite dans le travail, au fitness, au cours de formation continue ou au bistrot. Du moins, il n’y a pas de raison plausible pour fuir.
Le dimanche nous tend notre miroir social : où est notre place dans la société ? Quels sont celles et ceux dont nous nous sentons réelle- ment proches ? Avec qui voulons-nous partager ce que nous avons de plus précieux, à savoir notre temps ? Le dimanche ne résout pas ces questions ; mais il nous empêche de les éluder. Ainsi, le jour de repos constitue en quelque sorte la thérapie du quotidien et une cure de désintoxication en cas d’ivresse provoquée par un activisme addictif. Le dimanche nous fait sortir des ornières. Il est la pierre d’achoppement salutaire dans le train-train quotidien dicté par nos agendas.
En Suisse, la loi sur le travail interdit de travailler le dimanche. Des exceptions sont prévues, mais en principe, elles doivent être motivées, nécessitent une autorisation et ne peuvent pas être multipliées indéfiniment. Cette loi s’applique uniquement à l’industrie, à l’artisanat et au commerce.
Par rapport aux autres pays européens, notre situation est confortable, mais elle nécessite une grande vigilance. En Grande-Bretagne, les magasins sont ouverts le dimanche. Le caractère de ce jour a changé : c’est un jour comme les autres et non plus un jour de repos.
Au cours des récentes années, de nombreuses interventions politiques avaient pour objectif d’assouplir l’interdiction du travail dominical. Certaines d’entre elles ont été adoptées et mises en œuvre, telle la possibilité pour les cantons de prévoir quatre jours où les commerces sont ouverts, ou encore l’ouverture dominicale de commerces situés dans des gares et aéroports à forte fréquentation, introduite en 2005 malgré la résistance des Églises.
D’autres propositions ont été rejetées par le souverain, notamment dans des votations cantonales.
Le 22 septembre 2013, la Suisse est appelée à voter sur un assouplissement de la loi sur le travail. La modification proposée, qui a suscité un référendum, prévoit d’autoriser le travail nocturne et dominical entre 1 heure et 5 heures du matin dans les magasins des stations-service situés le long d’axes routiers importants à forte fréquentation touristique, et ceci pour la vente de produits répondant aux besoins des voyageurs sans relever pour autant de la restauration qui, elle, est déjà autorisée de toute façon.
La portée de la motion Abate, qui est contestée juridiquement mais qui a été adoptée par les Chambres fédérales (« adapter la notion de travail dominical aux besoins d’un secteur touristique moderne »), serait nettement plus vaste.
Par ailleurs, une motion du groupe vert’libéral, non soutenue par le Conseil fédéral, prévoit que l’ensemble des magasins et entreprises de services qui ne dépassent pas la superficie de 120 mètres carrés puissent occuper des travailleurs également le dimanche et la nuit, sans avoir à demander une autorisation. D’autres motions sont en suspens.
Le travail dominical et l’extension du travail en soirée s’inscrivent dans une même tendance à la libéralisation ; par conséquent, il faut aussi mentionner, dans le présent contexte, la motion Lombardi (ouverture des magasins jusqu’à 20 heures en semaine, jusqu’à 19 heures le samedi), qui a été adoptée par le Parlement.
La Fédération des Églises protestantes de Suisse ne prendra pas position sur chaque démarche qui va dans le sens esquissé. Il reste des marges d’appréciation : quel est le poids, quelle est la portée, dans chaque cas précis, de l’autorisation supplémentaire de travail nocturne et dominical ? Dans quelle mesure le Parlement a-t-il déjà restreint le champ d’application de la mesure controversée ? Et les restrictions adoptées par le Parlement sont-elles déjà suffisantes ou peut-on du moins apprécier diversement la décision prise par le Parlement ?
Toutes les organisations ecclésiales membres de l’Alliance pour le dimanche, dont la FEPS fait partie, continuent de se baser sur un texte adopté en 2005, intitulé « Protégeons notre dimanche, resserrons les liens de notre communauté », texte bénéficiant d’une large assise œcuménique. L’engagement en faveur du dimanche libre et commun fait partie des engagements œcuméniques à long terme de la FEPS. Le texte de 2005 n’oublie d’ailleurs pas les aspects économiques du dimanche. Il pose les questions suivantes : la libéralisation des heures d’ouverture entraîne-t-elle réellement une augmentation du chiffre d’affaires ou seulement un transfert ? Quel est l’effet de l’ouverture dominicale de certains commerces sur la concurrence entre petits et grands commerces ? Une chose est certaine : rien ne permet d’affirmer que le travail dominical ait un impact globalement positif sur l’économie.
Il va de soi que les prestations de services vitales doivent être assurées le dimanche. Quant aux autres, à celles qui rendent la vie plus agréable, plus gaie, plus passionnante et plus enrichissante le dimanche, il faudra procéder à une pesée des intérêts au cas par cas. Car celles et ceux qui fournissent ces prestations sont privé-e-s de dimanche. Et cette privation de dimanche est difficilement justifiable si le dimanche et la nuit sont sacrifiés simplement pour que nous n’ayons pas à planifier nos achats.
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