Et si la réflexion chrétienne se mettait aussi au vert ? Les deux éditeurs de ce recueil collectif sont allés chercher des voix singulières théologiques ou philosophiques pour démontrer que la crise écologique doit aussi se penser à partir de la religion. Ou inversement, qu’en religion, certains n’ont pas attendu les rapports du GIEC pour penser l’environnement, son rapport à l’humain et l’interdépendance du monde vivant. Le parcours offert au lecteur est stimulant.
La théologie protestante lutte avec son anthropocentrisme. Cette concentration de la grâce et du salut sur l’humain cherche aujourd’hui une voie plus élargie, englobant tout le vivant. Par exemple la Fête de Pâques n’est pas seulement une promesse pour l’humain, Pâques peut aussi prendre une dimension environnementale. La polémique protestante contre une théologie naturelle retrouve aussi un nouveau souffle. Par la désacralisation de la nature, l’humain s’est trouvé autorisé d’exploiter sans beaucoup d’égard son environnement. Que ce soit par un réenchantement de la nature, par une dilation de l’agapè, par une revisitation de l’intendance de l’humain comme mode de vie, ou par d’autres chemins, la spiritualité écologique offre des pistes originales et chrétiennes en résonnance aux voix spirituelles plus néo-païennes. Le défi est de trouver une voix qui renforce le rejet de la théologie naturelle traditionnelle mais en accordant à la pensée protestante un élargissement de la grâce sur tout le vivant. Il est devenu nécessaire dans cette crise écologique de relire les Ecritures. Cette revisitation des textes bibliques est très stimulante et constitue, en particulier pour le protestantisme, une chance de redécouvertes bibliques. Les défis sont donc lancés, et la théologie protestante s’active.
Notre livre dresse surtout un tableau des « précurseurs », tel Albert Schweitzer, Jacques Ellul, Jürgen Moltmann, Gérard Siegwalt ou Otto Schaefer. On peut déplorer l’absence d’un chapitre sur la théologie éco-féministe, florissante. Ou encore la dimension interreligieuse nécessaire dans la réflexion éco-théologique. Mais ce sera peut-être un troisième tome : les voies postmodernes de l’éco-théologie. Nous serions alors arrivés à aujourd’hui. Néanmoins il est utile de se plonger dans les précurseurs et y puiser de l’inspiration.
Pour ne pas se perdre, il est judicieux de retrouver les thèmes clé de la théologie et de les confronter à la crise écologique. C’est l’essai du scientifique et théologien Otto Schäfer quand il médite le thème de la grâce. Jürgen Moltmann essaye de revisiter le récit de la Création. Il retrouve l’humain non pas au sommet de la création, mais totalement dépendant d’elle et solidaire d’elle. Car venue à la fin des 6 jours, il devient évident que l’humain doit sa survie à ce qui est déjà donnée dans la création depuis le premier jour. Le sommet, pour Moltmann, est le shabbat. Ce moment où rien n’est exploité, tout est célébré et en lien apaisant. La réconciliation réalisée par anticipation, en Christ. L’anthropocentrisme est déplacé vers le biocentrisme. La théologie verte sud-américaine l’appelle la Terre mère, la théologie protestante doit reprendre cette expression et l’interpréter à partir de sa propre pensée. Albert Schweitzer place l’éthique au centre de sa réflexion religieuse. Nous recevons de lui cette phrase atemporelle : « Je suis vie qui veut vivre, parmi d’autres vies qui veulent vivre. » Dans le mot « Ehrfurcht » (le respect respectueux), si central pour Schweitzer, il y a à la fois l’adoration, le lien respectueux, peut-être l’unité de tout vivant (« Ehr »), et la « peur » (« Furcht ») du fractionnement, de la détérioration du don de la Création offert par Dieu. Cela s’est notamment traduit dans sa vie par le fait qu’il était végétarien. Certainement peu à la mode à son époque ! Evidemment nous touchons ici à la frontière du panthéisme à laquelle la théologie protestante verte devra apporter aussi une réponse. Au chapitre 12, Michel-Maxime Egger, qui s’inspire notamment de la tradition orthodoxe, fleurte sans cesse avec le panthéisme en cherchant à dépasser notre monde dualiste. Je pense qu’ici un détour par les théologies chrétiennes indiennes serait un enrichissement. En Martin Kopp, la théologie verte francophone rajeunit ses soldats. Son article essaie de situer une théologie de l’intendance comme critique de l’anthropocène sans nier cette centralité de l’humain. Ce qui me parait aussi intéressant dans son article c’est l’abondance de références bibliques auxquelles on ne penserait pas nécessairement.
En lisant ce livre stimulant, on se retrouve au milieu d’un pâturage multicolore avec ces différentes plantes et fleurs qui, ensemble, donnent satisfaction à notre recherche esthétique. Néanmoins il nous faudra un jour nouer la gerbe, faire un bouquet cohérent. C’est à venir. «Tous, concluent les éditeurs, sont des « précurseurs » d’une théologie en chantier, ils constituent, chacun (le masculin ici est significatifs et un peu navrant) pour sa part, des racines, radicelles et bourgeons d’une plante en pleine croissance, d’un arbre dont le branchage est tantôt prêt à éclore, et sur certains rameaux déjà en pleine floraison. » (page 223-4). Je pense que la théologie verte ou écologique ou éco-théologie, est un des lieux les plus créatifs de la pensée chrétienne. Heureux de l’apercevoir, car elle est ainsi aussi en lien avec une des préoccupations majeures de nos concitoyens. Et si la création parlait français, elle soutiendrait certainement cet élan.
Christophe Monnot et Frédéric Rognon (éd.), La nouvelle théologie verte, Labor et Fides, Genève 2021.
Martin Burkhard, pasteur, Programme Officer Church Cooperation, Partnership and Dialogue à l’EPER
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