Réflexions théologiques et éthiques
Les guerres sont menées par tous les moyens, y compris à l'aide de statistiques. Les chiffres peuvent donner une première impression de l'ampleur de la situation. Selon les estimations britanniques, environ 70’000 soldats et mercenaires russes ont été tués jusqu'à présent (janvier 2023) dans la guerre en Ukraine et entre 180’000 à 240’000 soldats russes et 40’000 mercenaires ont été blessés. En avril 2023, l’ancien ministre ukrainien de la Défense avait indiqué que le nombre de soldats ukrainiens tués était inférieur à 50’000. Selon les données de l'ONU de novembre 2023, au moins 10’000 civils ukrainiens ont été tués, mais le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé, car l'ONU ne recense que les victimes qui sont confirmées de manière indépendante. Selon le HCR, 6,3 millions de personnes ont fui l'Ukraine, dont plus de 5,9 millions vers l'Europe. Le nombre de personnes déplacées à l'intérieur de l'Ukraine est estimé à 4,9 millions de personnes. Près de 60’000 personnes originaires d'Ukraine ont trouvé protection en Suisse. Depuis l'attaque terroriste du Hamas, Israël a enregistré environ 1’200 personnes tuées et environ 5’500 personnes blessées sur son propre territoire. Selon les données du ministère de la santé de Gaza (Ministry of Health in Gaza), les actions militaires israéliennes à Gaza ont jusqu'à présent tué environ 24’500 personnes et blessé environ 61’500 personnes. Selon l'ACLED Conflict Index, il y a eu en 2023 des conflits armés dans 168 pays et régions, dont 50 classés comme particulièrement graves ; ils touchent une personne sur six dans la population mondiale. Au cours des cinq dernières années, les conflits armés dans le monde ont donc augmenté de 22%. Au milieu de l'année dernière, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) recensait plus de 110 millions de « Forcibly displaced people » dans le monde, c'est-à-dire des personnes qui ont dû quitter leur lieu de vie sous la contrainte, dont 36,4 millions de réfugiés enregistrés, 6,1 millions de demandeurs d'asile et 62,5 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Selon l’Institut International de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires mondiales s'élevaient à près de 2,2 billions de dollars en 2022, soit une augmentation d'environ 4,3 % par rapport à 2020. En 2022, la Suisse a dépensé 5,87 milliards de francs suisses, soit 0,86 % du produit intérieur brut, à des fins militaires.
Parler de la guerre et surtout contre la guerre, c'est parler de la normalité, voire contre elle. Au vu de ses statistiques qui font réfléchir, est-il normal de ne pas être confronté à la normalité de la violence armée au quotidien ? Presque par réflexe, nous sommes convaincus que la Suisse et les pays occidentaux en paix en sont là où le monde entier devrait être. Mais sommes-nous vraiment en avance sur le monde ou nos conditions de paix sont-elles le prix payé au quotidien par les troubles qui règnent dans de nombreuses parties du monde ? Notre paix n'est-elle par conséquent pas une paix réelle, mais seulement la pointe pacifique de l'iceberg, créée et assurée politiquement et économiquement, dans un océan de violence ? Il s'agit là de questions urgentes qu'il convient de poser au préalable, car elles ne feront pas comme telles l'objet de mon propos. Les réflexions suivantes se concentrent sur le thème de la guerre et de la paix dans une perspective théologique et éthique.
« Une fois encore, l'un d'eux a fait claquer une salve de mitraillette hystérique dans les troncs d'arbres, puis ils se sont tournés et sont repartis en trombe dans le bosquet. Nous avons immédiatement reculé en nous baissant derrière le talus : le sol était rouge ; rouge hélas. Un des vieux paysans était assis et tenait son bras dégoulinant. Et l'un des enfants était presque entièrement déchiré par deux éclats géants, le cou et les épaules, tout. La mère tenait toujours la tête haute et regardait, comme étonnée, la grosse mare carminée. [...] Le pasteur consola la femme en pleurs ; il dit : « Le Seigneur a donné ; le Seigneur a repris » – et, que le diable l'emporte, le lâche et byzantin ajouta : « Que le nom du Seigneur soit loué ! » (Et ce faisant, il regardait fièrement les pauvres païens perdus que nous sommes, âme de laquais sans vergogne ! – L'enfant sans culpabilité – Il ne peut tout de même raconter ses calomnies vieilles de 2000 ans sur le péché originel qu'à quelqu'un qui n'a plus de crêpe sur son chapeau : Ces gens n'ont-ils jamais pensé que Dieu pouvait être le coupable ? »
Ce passage de « Léviathan ou le meilleur des mondes » (Leviathan oder Die Beste der Welten) d'Arno Schmidt décrit une attaque d'artillerie russe sur un convoi de réfugiés se rendant de Berlin vers l'ouest, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme sous une loupe, se concentrent dans cette scène, les défis et les difficultés d'une réflexion théologique et éthique sur la guerre : la brutalité et la violence indicibles contre l'enfant sans défense et la mère impuissante, le fatalisme cynique du pasteur attaché à la Bible et la violence mortelle des soldats russes qui viennent de leur patrie meurtrie et parsemée de victimes de guerre suite à l’agression allemande, pour libérer avec les Alliés le monde du régime de terreur national-socialiste. Il s'agit d'une intrigue intéressante, car le massacre décrit, génère chez les lecteurs une colère et une indignation qui se retournent contre les agresseurs qui, d'un autre point de vue, sont les victimes de l'État auquel appartiennent les victimes représentées dans la scène. La classification morale entre les agresseurs et les victimes dépend de la perspective : c’est elle qui détermine quelle histoire est racontée. A première vue, les différentes histoires semblent se rapporter aux mêmes faits. Mais l’hypothèse d’une objectivité des faits ne tient pas compte du fait que les faits sont toujours objets de la communication à leur sujet et qu'ils disparaissent lorsqu'ils ne sont plus racontés. C'est pourquoi la propagande mène une lutte acharnée, pour avoir la première main dans l’élaboration des récits et de leurs interprétation. La représentation de soi-même en tant que victime et le scandale que représente l'ennemi sont indispensables pendant la guerre (et pas seulement). Il ne faut pas en déduire automatiquement que les récits sont inexacts ou peu crédibles. Car en l'absence d'alternative, il serait complètement insensé de rejeter en bloc tout ce qui est raconté, ce qui peut être dit et ce qui ne peut être présent autrement que dans ces récits. Ce qui est faux, c'est la prétention de connaître et de raconter la seule histoire qui soit vraie.
À côté des différences horizontales dans les perspectives narratives s'ajoute la distinction verticale entre le niveau de participation et le niveau d'observation. Elle se manifeste directement dans les conflits violents au niveau de l’implication des corps. La peur de la menace, de la douleur et de la destruction d’une personne impliquée est différente de la peur que des personnes observatrices peuvent éprouver de se retrouver dans une telle situation avec leur propre corps. Du point de vue de la théorie de la vulnérabilité , il s'agit de la distinction catégorielle entre les blessures subies sur son propre corps et la menace de sa propre vulnérabilité. Les deux perspectives sont réelles parce qu'elles sont effectivement menaçantes. Mais alors que les blessures représentent une menace pour la personne, la vulnérabilité représente une menace pour la sécurité de la personne. Les différences entre la participation et l'observation s'accentuent encore lorsqu'une perspective théorique est adoptée. Cela vaut également pour la réflexion théologique et éthique sur la paix et la guerre, qui ne se caractérise pas par une implication directe et un danger imminent, mais qui part d'observations qui orientent la réflexion et le jugement.
D'un point de vue judéo-chrétien, la paix est un prédicat de Dieu. « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je vous la donne pas comme le monde vous la donne ». (Jn 14,27) Au cœur de l'éthique du christianisme se trouvent l'injonction du Sermon sur la montagne de Jésus : « Aimez vos ennemis » (Mt 5,44) et la promesse « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils et filles de Dieu ». (Mt 5,9) Dans les deux Testaments, on rencontre l'extension de l'amour du prochain à l'amour des étrangers comme spécificité judéo-chrétienne par rapport à l'environnement culturel (cf. Lv 19,18.33s ; Dt 10,18s ; Mt 5,43-48 ; Lc 6,27-35 ; 1Cor 4,12 ; Lc 10,29-37). Jésus universalise l'amour du prochain en l'étendant à toute personne par l'amour des ennemis et en exigeant le renoncement à la vengeance (Mt 5,38-48). Dans le récit de Noël, la naissance de Jésus est annoncée comme « la paix sur la terre » (Lc 2,14), Paul désigne le Christ comme « notre paix » (Ep 2,14) et de nombreuses introductions de lettres du Nouveau Testament commencent par la salutation juive de paix, qui provoque le shalom chez les salués (Gn 43,27 s.).
D'un point de vue biblique et théologique, la paix ne peut pas être « créée » ou « fabriquée », mais doit être instaurée. La Bible n'entend pas par là un statut politique ou un état social, mais un ordre global salutaire, fondé sur la relation de Dieu avec sa création. Le Dieu d'Israël est le Dieu de la paix. Le shalom ne signifie pas seulement l'absence de guerre, d'hostilité ou de discorde, mais « un état propice à la vie au sein de la communauté qui va de la famille au peuple et au monde des nations, l'interaction bénéfique entre l'homme et la nature ainsi que la réconciliation entre Dieu et l'homme. Il ne peut y avoir de vie en paix que si le šalôm règne dans tous ces domaines d'interaction, qui sont inextricablement liés ». Dans le Premier Testament, la paix et la justice sont indissociables. « [L]a justice et la paix s'embrassent » (Ps 85,11). « Et l'œuvre de la justice sera la paix, et le produit de la justice, le repos et la sécurité pour toujours ». (Es 32,17) Les aspects eschatologiques, politiques et éthiques peuvent se combiner : « Il sera juge entre les peuples et donnera des instructions aux nations ; elles forgeront leurs épées en socs de charrue et leurs lances en faucilles. Aucune nation ne lèvera l'épée contre une autre, et elles n'apprendront plus la guerre ». (Es 2,4) Contre la violence et l'absence de paix du monde, les deux Testaments exigent : « recherche la paix et poursuis-la » (Ps 34,15) et « recherchez la paix avec tous » (Hé 12,14). Le discours biblique sur la paix « fait appel à une dimension profonde de l'expérience et de la compréhension de soi, qui précède toute action et toute rationalité de l'action, et qui, pour cette raison même, peut les rediriger et les orienter ».
Comme chacun sait, la Bible n'est pas seulement pacifique. Dans le Premier Testament, Dieu apparaît comme un héros de guerre, un maître et un homme de guerre (Ex 15,3), il fait massacrer des peuples en paix (Mi 4,13) et les écrase comme un chariot pour le battage du blé (Is 41,15) ou fait éventrer toutes les femmes enceintes par le roi Menahem (2 R 15,16). « Dieu extermine, détruit, abat, frappe, écrase, perce, tue, égorge, fait perdre des enfants, dévore, engloutit, déchire, rend malade et affame, [...] disperse, chasse, conduit en exil, confond, abandonne, dénude, tond, met le feu, rend la pareille, tente, tend la coupe de la colère et condamne ». De manière très schématique, on peut distinguer dans le Premier Testament une triple compréhension de la violence : Elle est interprétée soit (1.) ontologiquement comme l'expression de la nature pécheresse de la créature (prototype dans le fratricide de Caïn sur Abel, Gn 4), soit (2.) subjectivement comme une violation des commandements divins (le meurtre vengeur de Moïse sur le surveillant égyptien, Ex 2,11s.; le plan insidieux de David pour tuer Urie ; 2 Sam 11) ou (3.) relationnelle comme expression d'un ordre explicite de Dieu et d'une proximité ou d'un don particulier de Dieu (l'injonction à Esther d'un massacre contre les ennemis de son peuple, Esther 8 s. ; l'attentat-suicide de Samson, Ri 16). Le jugement de la violence ne dépend pas des actes, mais de leur autorisation. La violence est proscrite lorsqu'elle est motivée par des affects, des raisons et des motifs humains. En principe, d'un point de vue judéo-chrétien, un crime constitue une offense contre Dieu lui-même et ses commandements. Dieu ne se contente pas d'établir le droit, il l'impose et le sanctionne en tant que juge, soit immédiatement (juif), soit à la fin (chrétien). Parallèlement, on rencontre la violence comme expression de l'obéissance à Dieu, lorsque Dieu lui-même agit à travers la personne et confirme ainsi sa présence. Dans les faits, un tel comportement sur ordre de Dieu ne se distingue pas d'un crime. Dans ce sens, la compréhension biblique de la violence crée une irritation morale : la violence est interdite et punie, à moins qu'elle n'ait lieu sur ordre explicite de Dieu.
Dans le Premier Testament, la violence n'est pas une question de morale, mais de justice. Les actions humaines doivent être conformes aux lois en vigueur. Cela n'empêche pas les prophètes de dénoncer massivement les conceptions purement légalistes de la justice. Car la justice vise une pratique des relations favorable à la vie. En conséquence, le terme hébraïque pour la justice (hébr. zdq, zedaqah) est traduit par « fidélité à la communauté ». Dieu est fidèle à son peuple et à sa création. L'expression la plus forte de cette promesse unilatérale de loyauté donnée par Dieu est « l'alliance ». Lorsque Dieu promet à Abraham le don de la terre (Gn 15,17s), cette promesse est absolue, indépendamment du fait qu'Israël respecte ou rompe ses obligations liées à l'alliance. L'alliance de Noé (Gn 9) ne connaît pas de partenaires contractuels réciproques, mais est conclue unilatéralement par Dieu et dépend exclusivement de la fidélité de Dieu envers son peuple et sa création. La justice et la fidélité de Dieu forment l'unité indissociable de l'« alliance éternelle » (Gn 17,7.13 ; Ex 31,16). La violence et la paix font partie d'une constellation triangulaire dont les points de repère sont la non-violence/violence – la paix – le droit/la justice. La paix désigne une relation complexe et conflictuelle de justice et de propension relationnelle favorisant la vie, qui ne s'oppose pas catégoriquement à la violence, mais qui intègre la possibilité d'une violence divinement autorisée. L'alliance de bénédiction de Dieu avec son peuple et sa création constitue la structure de la constellation triangulaire.
Le Sermon sur la montagne et le discours de Jésus dans la plaine, ses actions exemplaires et la parabole du bon Samaritain (Lc 10,25-37) sont les éléments porteurs de l'éthique chrétienne de la paix. Toutefois, même ces textes fondamentaux donnent une image différenciée. La parabole la plus connue de Jésus est devenue de nos jours synonyme de morale chrétienne. Mais elle met aussi en évidence un dilemme concret, car l'amour du prochain vécu de manière exemplaire revient à une réduction problématique des conditions de vie réelles. D'un point de vue objectif, la parabole le train de la violence et de l'injustice humaines sont déjà en marche. Le crime et l'injustice ont déjà eu lieu avant que le bon Samaritain n'intervienne. Il est significatif que les interprétations morales courantes ne disent pas un mot des auteurs de la violence ou des « brigands ». Curieusement, les « brigands » dont l'homme est victime sur le chemin de Jéricho sont toujours déjà là, comme une fatalité. Les véritables auteurs de la violence sont les autres, que la parabole passe sous silence. Elle ne dit pas un mot sur les structures et les pratiques de la violence qui engendrent des victimes, mais se concentre entièrement sur la gestion des conséquences. Cela ne pose pas de problème tant que les interprétations de la parabole se limitent à cela. Mais l'histoire de l'Église et de la théologie ont régulièrement élargi la focale et fondé dans cette parabole l'interdiction de lutter contre les causes de la violence et de l'injustice.
Le silence sur l'entrée de la violence dans le monde avec les « brigands » soulève une question que Jésus ne pose pas : Comment le Samaritain miséricordieux aurait-il agi s'il avait été sur les lieux au moment des faits et s'il avait pris les « brigands » en flagrant délit ? Serait-il alors toujours entré dans l'histoire morale occidentale comme le paradigme de la miséricorde ? Aurait-il attendu la fin de la bagarre pour ne pas se retrouver dans l'embarras moral ? Ou aurait-il adopté l'attitude pacifiste du Mahatma Ghandi et de Bertha von Suttner ? Ou se serait-il interposé sans pitié comme Harry Callahan dans « Dirty Harry » et Beatrix Kiddo dans « Kill Bill » ? Il est difficile de comprendre pourquoi l'amour du prochain devrait exiger le même comportement envers les victimes de violence qu'envers les auteurs de violence. Cela reviendrait à une morale de l’après-coup, qui s'endormirait sur les causes de l'injustice et de la violence, ou à une morale de la voiture-balai, qui se contenterait de ramasser les morceaux et de panser les plaies. Et Aron Ronald Bodenheimer aurait ajouté : « Par-dessus tout, les appels non-violents-violents ne veulent pas percevoir cette chose : que la paix des uns a toujours et encore été achetée par la discorde des autres ».
D'autres déclarations de Jésus sur la violence doivent également être jugées de manière nuancée. Certes, lors de son emprisonnement à Gethsémani (Mt 26,47-56), il rejette la résistance violente d'un disciple : « Remets ton épée à sa place ! Car tous ceux qui prennent l'épée périront par l'épée ». (Mt 26,52) Mais il justifie le renoncement à la légitime défense par deux arguments inattendus. La première justification n'est explicitement pas pacifiste, mais relève de la stratégie du pouvoir : « Ne sais-tu pas que je pourrais appeler mon Père à l'aide et qu'aussitôt il m'enverrait plus de douze armées d'anges ? » (Mt 26,53) Jésus formule ainsi une condition constitutive du renoncement à la violence : ne peut renoncer à la violence que celui qui peut en disposer, sinon ce ne serait pas un renoncement, mais une contrainte à la quelle on cède par impuissance. C'est pourquoi il y a une différence fondamentale entre le fait qu'une personne devienne victime de la violence parce qu'elle renonce volontairement à se défendre et le fait qu'elle ne puisse tout simplement pas s'y opposer. Le renoncement volontaire de Jésus à se défendre lui-même se trouve également derrière la deuxième justification : « Mais, en ce cas, comment s'accompliraient les Écritures qui déclarent que cela doit se passer ainsi ? » (Mt 26,54) Il ne mentionne pas un seul mot de l'argument le plus évident de la cinquième antithèse de son Sermon sur la montagne (Mt 5,38-42) : « Moi, je vous dis de ne pas résister au mal, mais : Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre. Et si quelqu'un veut plaider contre toi et t'enlever ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau ». (Mt 5,39 s.) Ulrich Luz a interprété ces exigences comme « une provocation consciente ». « Il s'agit de détourner, de choquer, de protester symboliquement contre le cycle de la violence. Leur évidence ne réside pas dans le fait que le comportement qu'ils exigent serait plausible ». Cette interprétation semble évidente, car les impulsions de Jésus « n’ont nulle part été maintenues dans toute leur acuité, peut-être même pas chez Matthieu, [...] ».
Cela vaut d'autant plus pour l'histoire de la réception. La ligne radicale d'une pratique conséquente de l'amour du prochain s'étend jusqu'au tournant de Constantin et ne se rencontre ensuite plus que dans l'ombre d’une grande Église qui soutient l'État. Depuis la Réforme, le pragmatisme étatique des grandes églises confessionnelles s'oppose aux courants anabaptistes et à certains courants calvinistes qui reviennent à l'exigence radicale des premières communautés chrétiennes. Le durcissement de la doctrine du péché, de la justification et la lutte contre les milieux anabaptistes font qu’à la Réforme, « pour la première fois, les voix [qui] soulignent le caractère irréaliste du Sermon sur la montagne [l'emportent] ». L'amour du prochain et des ennemis est soit subsumé sous la critique paulinienne de la loi, soit discrédité comme une forme de justice des œuvres, soit réduit à une morale privée individualiste. Ulrich Luz résume que « dans le domaine des Églises de la Réforme, il n'y a pas eu, dans une large mesure, de véritable pratique du christianisme à l’aune des exigences du Sermon sur la montagne » et poursuit : « Aucune interprétation du Sermon sur la montagne n'a jamais été totalement protégée contre le fait de justifier ce qui se passait dans l'Église à son époque ». Malgré cela, la coexistence radicale du renoncement à la violence et de l'exigence d'amour « peut rappeler à l'amour chrétien son origine dans le royaume de Dieu [...] » et « l'empêcher de n'être qu'une aide sécularisée à la survie ».
En s'appuyant sur le Sermon sur la montagne, les communautés chrétiennes primitives refusent le service armé, le serment du soldat et le culte de l'empereur et l'Église punira de tels actes encore au début du quatrième siècle. Mais ces dispositions sont relativisées quelques années plus tard. La prise de Rome par Alaric en 410 marque un tournant profond, dont Augustin est le témoin et auquel il réagit en donnant une justification théologique au service militaire et à la guerre défensive. Le tournant constantinien, qui élève le christianisme au rang d'Église d'État, place le thème de la paix et de la guerre dans un nouvel horizon. Sur fond de la nouvelle notion de sécurité (securitas), on distingue désormais la domination légitime de l'État (potestas de l'auctoritas principis) et la violence illégitime (violentia). La violence négative doit être combattue par la violence positive. La guerre en fait également partie en tant que moyen de violence étatique pour protéger le propre territoire de l'État contre les attaques extérieures. Les critères d'Augustin concernant la « guerre légitime » (bellum iustum) constituent le point de départ d'une discussion menée jusqu'à aujourd'hui par Thomas d’Aquin, les théologiens de la Réforme et leurs successeurs. Dans une logique propre à une éthique du maintien de la violence par le droit, ces critères sont les suivants :
Critères de la guerre (ius ad bellum) :
Critères en cas de guerre (ius in bello) :
Une nouvelle dynamique de réflexion politique, juridique, ecclésiastique et théologique sur la paix et la guerre s'amorce au 20e siècle, le siècle le plus cruel et le plus brutal de l'histoire de l'humanité. L'exposé de Dietrich Bonhoeffer lors de la réunion de l'Alliance universelle pour l'amitié internationale par les Églises en août 1934 à Fanø a fait date sur le plan œcuménique : « Comment obtenir la paix ? Par un système de traités politiques ? Par l'investissement de capitaux internationaux dans les différents pays ? c'est-à-dire par les grandes banques, par l'argent ? Ou même par un réarmement pacifique généralisé dans le but de garantir la paix ? Non, pas par tout cela, pour la simple raison que l'on confond partout la paix et la sécurité. Il n'y a pas de voie vers la paix par la voie de la sécurité. Car la paix doit être osée, c'est un grand risque, et elle ne peut jamais être assurée. La paix est le contraire de la sécurité. Exiger des garanties, c'est se méfier, et cette méfiance engendre à son tour la guerre. Chercher des sécurités, c'est vouloir se protéger soi-même. La paix, c'est s'abandonner entièrement au commandement de Dieu, ne pas vouloir de sécurité, mais remettre, dans la foi et l'obéissance, l'histoire des peuples entre les mains du Dieu tout-puissant et ne pas vouloir en disposer égoïstement ». Ces déclarations limpides s'inscrivent dans le contexte du national-socialisme allemand, de la mise au pas des églises, d'un néo-luthéranisme nationaliste et enthousiaste à l'égard de la guerre et d'une politique d'apaisement des États internationaux vis-à-vis de l'Allemagne qui s’est révélée fatale.
Sous l'influence de la Seconde Guerre mondiale, Karl Barth constate sobrement que celui qui parle aujourd'hui de la guerre doit savoir « qu'elle dit purement et simplement de tuer : tuer sans éclat, sans dignité, sans galanterie, sans barrière ni considération de quelque côté que ce soit. [...] Il ne manquait en fait que la possibilité de la bombe atomique et de la bombe à hydrogène pour que l'auto-révélation de la guerre soit complète à cet égard ». C'est pourquoi le vieil adage romain « Si vis pacem para bellum ! » – Si tu veux la paix, prépare la guerre – a définitivement fait son temps. Il faut lui substituer l'idée inverse : « Si non vis bellum, para pacem ! [Si tu ne veux pas la guerre, prépare la paix] Veiller à une meilleure organisation de la paix » ! « La tâche normale de l'État n'est justement pas de faire la guerre, selon la conception chrétienne, mais sa tâche normale consiste selon elle à organiser la paix de manière à ce qu'elle serve la vie et qu'elle éloigne la guerre ». Pour cela, il faut « la foi, l'intelligence et le courage chrétiens [...] – et c'est à cela que servent l'Église chrétienne et l'éthique chrétienne – pour crier aux peuples et aux gouvernements qu'à l'inverse de la formule courante, c’est la paix qui relève de la situation d’urgence : la situation dans laquelle – seulement vraiment ‘à l'avance’ – tout le temps disponible, toutes les forces, tous les moyens doivent être mis en œuvre pour que les humains puissent vivre, et même bien vivre, pour ne pas avoir ensuite de raison de fuir dans la guerre, c'est-à-dire pour ne pas avoir à attendre de la guerre ce que la paix leur a refusé ». L'Église a un rôle important à jouer dans ce contexte. Elle s'engage « pour la fidélité et la foi également dans ses relations mutuelles [...], pour des accords solides et contractuels et pour leur maintien, pour des tribunaux d'arbitrage et des associations internationales, [...] pour l'ouverture d'esprit, pour la compréhension, pour la patience à l'égard des autres, pour une éducation de la jeunesse qui lui fasse aimer la paix et non la guerre, [...] et contre toute hystérie incendiaire, c'est-à-dire contre toute peinture hâtive sur le mur de cette autre situation d’urgence que serait celle de la guerre ». Cela n'exclut pas le cas de la guerre comme ultima ratio, dans lequel l'Église n'adopte toutefois jamais le « langage de la propagande » des « agitateurs militants » et des « excités séduits par ces agitations » , mais effectue « d'abord et avant tout un mouvement de distanciation, de retardement » .
L'imbrication du droit international et de la société civile dans la mission de paix telle que Karl Barth la conçoit anticipe une évolution qui débute du côté de la communauté internationale à la suite de l’observation impuissante des massacres au Rwanda en 1994 et à Srebrenica en 1995 et qui débouche sur le concept de Responsibility to Protect (devoir de protection). L'idée centrale est que la souveraineté d'un État « n'implique pas seulement l'indépendance (non-ingérence des tiers dans les affaires intérieures) et l'autodétermination », mais « doit également se mesurer à la souveraineté de ses citoyens. Cela inclut la protection de la population. Si les États ne sont pas en mesure ou ne veulent pas assurer la protection de leur propre population, cette responsabilité revient à la communauté internationale ». Il en résulte trois tâches essentielles : 1. la prévention (responsibility to prevent), 2. la réaction (responsibility to react) et 3. la reconstruction (responsibility to rebuild), l'obligation de prévenir la violence étant prioritaire. Les tâches complémentaires de l'État et de la population correspondent à la triade de Barth sur le droit, la paix et la liberté. La paix n'existe pas seulement au moment où le droit étatique est en vigueur ou rétabli, car un ordre juridique peut engendrer et cimenter des conditions extrêmement violentes, oppressantes et précaires. C'est contre une telle formalisation que Barth place son troisième critère de la paix. La paix ne règne que lorsqu'un ordre juridique garantit effectivement la liberté de toutes les personnes qui y sont soumises.
La guerre en Ukraine a manifestement pris l'éthique théologique de la paix à contre-pied. Sous l'influence de la Seconde Guerre mondiale, les Églises chrétiennes du monde entier s'étaient mises d'accord sur le fait que, selon la volonté de Dieu, la guerre ne devait pas avoir lieu et, compte tenu des monstrueux arsenaux nucléaires, qu’elle ne pouvait pas avoir lieu. Cette position, que les Églises d'Europe occidentale ont maintenue jusqu'à aujourd'hui dans leurs prises de position officielles, est remise en question depuis longtemps par les milieux académiques et théologiques, et la guerre en Ukraine a encore alimenté cette discussion. La critique vise avant tout l'éthique d’une maintien du droit par la force (rechtserhaltende Gewalt), défendue par l'EKD, qui repose – de manière exacerbée – sur l'idée d’une transposition des structures et fonctions de l'État de droit démocratique national au monde des États internationaux, en se rattachant à la triade de Karl Barth sur la paix, la liberté et la justice.
L’idée d’un maintien du droit par la force repose sur un système juridique international développé, doté d'une grande force contraignante, d'un pouvoir d'application et de sanction. Tout cela ne s'applique que de manière plus ou moins limitée aux institutions de droit international, en premier lieu au Conseil de sécurité de l'ONU avec le droit de veto des membres permanents. De nombreux conflits armés menés après 1945 ont violé, du moins formellement, la proscription de la guerre inscrite à l'article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations unies et les « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression » inscrites au chapitre VII de la Charte des Nations unies (art. 39-51). La notion d’une paix juste, assurée par les moyens d’une force visant au maintien du droit occulte cette réalité. Le fait que « parfois, une force d’établissement du droit est tout de même nécessaire [...] est également méconnu. Il peut y avoir des situations dans lesquelles il est nécessaire d'agir de manière précoce et énergique avec des moyens militaires contre ceux qui menacent ou détruisent systématiquement la vie d'autres personnes ». Pour le théologien viennois Ulrich Körtner, le concept de paix juste « mélange l'espoir biblique dans le royaume de la paix divine avec l'utopie d'une paix mondiale fondée sur les Nations unies ». Les faiblesses du droit international – ou plus précisément son mépris par les États belligérants – ont conduit à une renaissance non seulement de la doctrine de la guerre juste, mais aussi de la doctrine de la dissuasion nucléaire. Le débat théologique se rattache aux « Thèses de Heidelberg sur la question de la guerre et de la paix à l'ère atomique » (Heidelberger Thesen zur Frage von Krieg und Frieden im Atomzeitalter) de 1959. Dans le contexte de la controverse sur l'admissibilité ou l'interdiction de la dissuasion nucléaire, qui menaçait de faire éclater l'Église protestante d'Allemagne, une commission interdisciplinaire avait élaboré 11 thèses qui ont été reprises par l'Église comme position commune. La sixième thèse est particulièrement controversée, selon laquelle « les différentes décisions prises face au dilemme posé par les armes nucléaires devraient être comprises comme des actions complémentaires ». La notion de complémentarité, reprise de la physique quantique, est également invoquée dans des contributions théologiques actuelles. Une éthique de paix responsable devrait se résumer à la formule : « Hope for the best, prepare for the worst ». Körtner résume : « L'idée d'une démocratie sans ennemi s'est révélée être une illusion. L'ennemi de l'Occident n'est pas le peuple russe, mais ses dirigeants. Aussi importantes que soient toutes les étapes vers la désescalade et la recherche de solutions diplomatiques, il serait naïf et irresponsable vis-à-vis du peuple ukrainien d'assurer à Poutine et à ses acolytes que nous ne les considérons pas comme des ennemis. Celui qui veut suivre le commandement de Jésus d'aimer ses ennemis doit en fait savoir qui sont ses ennemis et qui ne le sont pas ».
Ce sont de nouvelles tonalités dans l'éthique théologique de la paix : « ennemis », « dissuasion nucléaire » ou « monde des bisounours », dans lequel l'éthicien théologien émérite zurichois Johannes Fischer situe l'éthique de la paix de l'Église. La polémique qui semble être dirigé contre l'Église signifie en fait une remise en question des efforts politiques, juridiques et éthiques déployés depuis l'Antiquité et le Moyen Age jusqu'au 20e siècle, en passant par la Réforme et les Lumières, pour surmonter la guerre grâce à un ordre juridique international global. La frénésie de la pensée en période de turbulences fait qu'en poussant en avant, on perd de vue ce qui se trouve ainsi renversé à l’arrière. Dans l'éthique théologique de la paix, on assiste actuellement à un changement de perspective de la « paix » vers la « sécurité », que Christopher Daase observe également dans la politique : « La sécurité est la valeur centrale de notre société. Il n'en a pas toujours été ainsi. Il y a quelques années encore, les termes ‘sécurité’ et ‘paix’ se disputaient la première place dans les débats stratégiques et les programmes des partis. Aujourd'hui, la ‘sécurité’ est l'étalon de la politique nationale et internationale, et la paix n'est presque plus évoquée que dans les discours politiques du dimanche (prédication) ». L'Église et la théologie sont ainsi une nouvelle fois prises à contre-pied, car le thème de la « sécurité » ne joue aucun rôle notable dans les sciences bibliques, la théologie et l'éthique.
Le débat actuel suit l’opposition dépassée entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, de l'orientation par les principes contre l'orientation par les conséquences. Y appartient d'un point de vue théologique, la formule reprise par Bonhoeffer sur la disposition à assumer la faute. L'EKD formule de manière exemplaire « Dans les situations où la responsabilité pour sa propre vie ou celle d'autrui oblige à agir de telle sorte que la vie soit en même temps menacée ou détruite, aucune pesée des intérêts, aussi soigneuse soit-elle, ne peut libérer du risque de devenir coupable ». Que faut-il entendre par là ? S'il s'agissait de la sagesse quotidienne selon laquelle on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, la remarque théologique serait triviale. S'il est fait allusion à son propre engagement envers Dieu, les exigences de la conscience et les devoirs éthiques entrent en conflit et placent la personne devant le choix de la cohérence ou de la culpabilité. Lorsqu'il s'agit de l'urgence d'une action au regard des personnes concernées, la référence normative change : il ne s'agit pas du tout de savoir comment une personne agissante peut être et rester en accord avec elle-même, mais de savoir ce qui doit être fait en toute conscience pour défendre et protéger son intégrité personnelle. Lors de décisions qui concernent les conditions de vie de tiers, de la collectivité et de la société, c'est le jugement compétent, argumenté et éthiquement réfléchi qui compte. Le conflit de conscience individuel lui est tout au plus subordonnée. La responsabilité vis-à-vis des personnes qui doivent supporter les conséquences d'une action ou d'une non-action ne peut pas être mise en balance avec l’engagement de la conscience personnelle au regard de cette action et de cette non-action. Car : « Ce n'est pas le sujet qui se fixe la tâche, mais la tâche qui constitue le sujet ». Ou, dans un sens théologique, avec Karl Barth : du point de vue théologique, le sujet éthique est « l'homme sanctifié, qui n'est pas le sujet, mais bien le prédicat des affirmations de l'éthique théologique. Il est la créature de Dieu, il est le pécheur pardonné dans le Christ, il est l'héritier du royaume de Dieu parce que et dans la mesure où Dieu le prend en compte comme étant tout cela ». Le discours théologique sur la culpabilité repose sur l'hypothèse erronée qu'un jugement, une décision et une action objectivement rationnels, éthiquement fondés et moralement justifiés, puisent nécessairement à d'autres sources que celle de la conscience personnelle. Cette étrange supposition doit son adoption, en grande partie sans critique, à une théorie des deux mondes, bien rodée dans la tradition théologique.
Renoncer à une telle position de repli signifie à l'inverse ne pas niveler les tensions, les incohérences et les ambivalences, mais les reconnaître comme des caractéristiques indiscutables de situations limites exigeantes et existentielles. La lettre de Karl Barth au théologien pragois Josef Hromádka, quelques jours avant l'annexion de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne nationale-socialiste en octobre 1938, en est un exemple : « Étrange époque, cher collègue, où il est impossible de dire autre chose quand on a les sens en éveil, sinon qu'il est impératif, au nom de la foi, de placer résolument en deuxième position la crainte de la violence et l'amour de la paix, et en première position, avec une même détermination, la crainte de l'injustice, l'amour de la liberté ! » Dans cette lettre, Barth attribue aux soldats tchécoslovaques dans la résistance contre Hitler le même rôle de représentation de l'Europe que celui que l'on attribue aujourd'hui à la lutte ukrainienne pour sa propre souveraineté étatique contre la Fédération de Russie. Les mots de cette lettre ne sont pas sans conflit avec les réflexions de Barth sur l'éthique de la paix que nous venons d'esquisser. On y voit une ambivalence qui apparaît toujours lorsque des convictions fondées rencontrent des situations réelles dans lesquelles elles ne sont ni annulées ni démasquées comme des erreurs, mais ne peuvent servir d’orientation que de manière brisée, voire contrefactuelle. Dans une lettre écrite peu après, Barth s'efforce de préciser : « L'Église peut avoir à subir la dictature. Mais l'espace politique qu'elle seule peut affirmer, approuver et vouloir est celui de l'ordre et de la liberté ». Cette remarquable distinction entre ce qui peut ou doit être imposé à l'Église et ce qui peut ou doit être imposé à l'État permet de dégager des conditions-cadres pour une éthique de la paix du point de vue ecclésial et théologique :
Ces lignes directrices s'appliquent également aux déclarations publiques de l'Église sur la paix et la guerre, qui revendiquent à juste titre une pertinence sociopolitique. Dans ce cadre normatif, de nombreux arguments et positions sont possibles. En outre, les garde-fous permettent de garder en éveil les doutes qui accompagnent nécessairement de telles décisions, qui touchent aux limites. Et ceux-ci sont de mise face à une politique de sécurité qui se présente toujours avec l'habitus élitiste d'un savoir secret. Peter Ustinov rappelle un événement symbolique : le 4 février 2003, « le secrétaire d'État américain Colin Powell entre dans le bâtiment de l'ONU pour faire la promotion de la guerre américano-britannique contre l'Irak devant les micros de la presse internationale, accompagné de l'inspecteur en armement, le Dr Hans Blix – une personne de bonne foi. Dans le foyer du bâtiment de l'ONU, une tapisserie du tableau ‘Guernica’ de Picasso, offerte par Nelson Rockefeller, est accrochée depuis des années. Lorsque Powell arrive, elle est recouverte d'un rideau bleu avec des logos de l'ONU. Car les horreurs évoquées par le tableau anti-guerre le plus célèbre du 20e siècle, ces horreurs feront partie du quotidien dans la guerre contre l'Irak. Cette guerre aussi, annoncée de manière cynique comme une guerre qui serait ‘chirurgicalement propre’, prendrait des vies humaines dans la population civile : des femmes mourantes et des enfants en pleurs. On ne pouvait donc pas se permettre un panorama symbolisant cette vérité. Rien ne devait et ne pouvait perturber le mensonge ».
Conférence par Frank Mathwig dans le cadre du cycle de formation pour adultes 2024 "Ernstfall Frieden" de la paroisse réformée de Frutigen, Aeschi, 23.01.2024.
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