La rock-star des sociologues de la modernité, l’allemand Hartmut Rosa, propose un petit livre inattendu : un plaidoyer pour plus de religion dans nos sociétés! A l’ère des ethno-conservatismes, le propos peut surprendre. C’est pourtant une continuation du travail de Rosa, qui s’est fait connaître par sa critique contre « l’accélération du monde » et sa première piste pour y faire face, la recherche de « résonnance »
En 2010, Hartmut Rosa proposait dans Accélération, une critique de la modernité à travers trois types d’accélérations sociales : l’accélération technique, celle du changement social et celle du rythme de vie. En 2021, avec Résonance, une sociologie de la relation au monde, ce penseur, enseignant à l’Université Friedrich-Schiller d’Iéna, y proposait de refonder la sociologie et notre être au monde sur la base des émotions et l’affection, pour dépasser la recherche d’utilité et d’efficacité exigée, entre autre, par la rationalité technique et celle du capitalisme.
Son récent ouvrage Pourquoi la démocratie a besoin de religion, est un prolongement de cette réflexion : la religion est pour lui un espace particulier de résonance, et peut ainsi proposer une réponse au phénomène d’accélération.
Le texte est un discours prononcé dans le cadre d’une rencontre diocésaine en Allemagne, d’où sa concision et son langage très accessible. D’emblée Rosa cite une formule biblique « Donne-moi un cœur qui écoute », (p.18) établit pour lui un parallélisme entre l’attitude religieuse et la résonance au monde qu’il prône : « c’est exactement ce dont nous nous avons besoin, à la fois pour réussir notre propre vie et pour vie vivre ensemble ». Et de développer un plaidoyer pour l’écoute « avec le cœur » (p.25) dans tous les champs de la vie sociale.
Mais s’il promeut ces qualités humaines dans des catégories traditionnellement utilisées par la religion, Rosa n’est pas un théologien, il se positionne en sociologue, c’est bel et bien à ce titre qu’il promeut plus de religion, parce qu’elle offre « des formes alternatives de relation au monde » (p.25).
Reprenant sa critique de la modernité, il pointe en particulier un aspect de l’accélération qui est aujourd’hui repris par un certain nombre de penseurs écologistes : le fait que notre société est condamnée à croître, ce qui « d’un point de vue structurel et systémique est irrationnel », parce que nous y sommes contraints et que sans elle « l’ensemble de l’édifice social s’effondre » (p.37). Et de poser la question que des théologiens protestants comme Martin Kopp ont récemment relevée : que voulez-vous faire croître ? (p.32) La limite de cette croissance structurelle, pour le sociologue est qu’elle implique un rapport « agressif au monde » (p.40) qui fait de tout interlocuteur qui pense différemment « un ennemi » à éliminer (p.42) et entraîne quantité de pathologies (p.43). Finalement, le sociologue énonce tout haut un sentiment largement partagé tout bas « cela ne peut pas continuer ainsi » (p.44).
En quoi la religion est une solution au fonctionnement de nos démocraties ? Parce que celles-ci « ne fonctionnent pas sous la modalité de l’agressivité » (p.52), ont besoin au contraire de « cœurs qui écoutent, veuillent entendre les autres et leur répondre » (p.57). Or justement « les Eglises disposent de narrations, de réservoirs cognitifs, de rites, de pratiques, et d’espaces où un cœur peut s’exercer à cette écoute et peut-être en faire l’expérience » (p.55). La thèse fondamentale de Rosa tient ici : « nous devons nous laisser appeler » (p.55) et alors que notre disponibilité à l’appel est en crise, les Eglises disposent d’un savoir-faire unique en la matière ! Et l’auteur de dresser un parallèle entre les facteurs qui définissent la résonance sur le plan social et l’expérience religieuse : se sentir affecté ou appelé, entrer en connexion avec l’autre se sentir transformé, ne pas pouvoir contrôler « fabriquer, acheter ou forcer » cette expérience » (P.64). Pour le penseur, cette faculté de résonnance, qui peut se retrouver dans différentes spiritualité mais en particulier dans le christianisme, définit même notre être au monde « l’essence de mon existence est une relation de résonnance » (p.73)
Une réflexion stimulante, contemporaine, qui peut déranger à l’heure des laïcismes galopants et de l’inculture religieuse. On peut rester sur sa faim sur deux points : Hartmut Rosa se concentre ici sur le christianisme et ne propose pas de réflexion politique. Mais cela s’explique en partie par le fait qu’il s’agit, à l’origine, d’un discours.
Toutes les personnes qui s’intéressent au fait religieux aujourd’hui : étudiant·es, professeur·es de religion, croyant·es, membres de conseils de paroisses ou d’associations interreligieuses... ou simple citoyenn·e. L’ouvrage est accessible et court (74 pages). S’il peut être utile de connaître le concept de ‘résonnance’ déjà développé par le sociologue, tout le langage utilisé par ailleurs est peu conceptuel et facilement accessible.
Hartmut Rosa, Pourquoi la démocratie a besoin de religion, La Découverte, 2023.
Camille Andres est journaliste pour le mensuel romand Réformés
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