André Gounelle est non seulement un professeur emblématique de la faculté de théologie protestante de Montpellier où il y a enseigné la dogmatique près de 30 ans, mais aussi un théologien qui a mis à disposition du grand public toutes les subtilités de la théologie, avec un grand talent pédagogique. Il s’est investi dans la publication de l’œuvre de Paul Tillich et a fait connaître la théologie du Process au monde francophone.
Le livre est composé en quatre parties qui touchent l’histoire, la Bible, la grâce et la foi, l’Église.
Une théologie du protestantisme – chaque mot au singulier – ne correspond pas au pluralisme théologique revendiqué par le protestantisme.
La première partie, historique, met en évidence les tensions qui règnent dès le XVIè, entre les réformateurs et entre les réformes magistérielles (luthérienne et calvinienne) et radicales (Müntzer et la révolte armée, les anabaptistes pacifiques qui, chacun à leur manière, trouvent que les institutions du moment temporisent trop la puissance de l’Évangile et font trop de compromis avec la culture du moment). L’auteur montrent bien qu’il faudrait parler de réformes, y compris de la réforme catholique du concile de Trente.
La partie sur la Bible est l’occasion d’observer l’usage qui en est fait dans les différents courants du protestantisme. Si les radicaux veulent un retour au Nouveau Testament en passant par-dessus la tradition de l’Église, luthériens et réformés utilisent la Bible pour corriger la tradition. Cette tension est plus vive qu’il n’y paraît. Gounelle constate que les luthéro-réformés reprochent aux radicaux « biblicistes » d’ignorer le temps de la rédaction et la culture de l’époque qui doivent donner lieu à un travail d’interprétation (p. 101). Quant aux « illuministes » qui revendiquent un accès direct à Dieu par son Esprit, il leur est reproché de confondre leurs idées avec l’inspiration de Dieu. Les tensions portent sur le rapport de la Bible au monde, à l’histoire, à la science. Les approches historiques et critiques ne font pas l’unanimité et le fondamentalisme est d’abord un phénomène protestant apparu dans les années 1920 en réaction au libéralisme théologique. Toutefois, la lecture attentive des textes bibliques conteste le principe d’inerrance (la Bible ne contiendrait aucune erreur) et retient de faire de la Bible un ouvrage scientifique. Tous s’accordent à reconnaître la Bible comme règle en matière de foi, un compagnon qui nourrit sa réflexion personnelle et éclaire son éthique.
La question du salut est le point de départ de la troisième partie sur la foi. On peut se demander si ce thème est encore d’actualité. Si ce n'est pas le cas, la grâce et la foi n’ont plus d’objet – et le protestantisme, qui s’est constitué sur cette question, non plus. C’est d’ailleurs le constat que faisait Tillich et que rapporte Gounelle (p. 232), constatant que la justification par la foi est une « doctrine qui, dans sa formulation première, est devenue incompréhensible même pour les étudiants en théologie ». Ce sera également l’avis de Bultmann et Ebeling. Pour Gounelle, l’inadéquation de la prédication de la grâce avec le temps présent tient au fait qu’on rapporte le salut à l’au-delà alors qu’il concerne principalement le temps présent. Cela permet à Gounelle de rappeler plusieurs sens que peut recouvrir le salut de nos jours : nous pouvons être sauvés de la culpabilité qui pèse sur nous, de l’absurde du monde et de l’angoisse provoquée par la perspective de la mort. À partir de là, il est possible de revisiter la foi comme une expérience sensible de la personne qui dit oui à la grâce, oui à la possibilité de la vie dont parle l’Évangile. La foi est alors une relation et non le fait de tenir pour vraies des vérités plus ou moins douteuses. Quant à la grâce, elle dit la gratuité du salut qui est l’œuvre de Dieu par excellence (p. 198) et elle conduit chacun à la sanctification (le fait de devenir une nouvelle créature capable de vivre selon l’espérance de Dieu).
C’est dans la partie sur l’Église que Gounelle aborde le baptême et la cène, les sacrements qui, pour Luther, sont « un signe divinement institué et la promesse du pardon des péchés ». Des désaccords persistent à ce sujet. Les anabaptistes considèrent que le baptême des enfants n’est pas un baptême. Luthériens et réformés donnent un sens différent à la cène. Néanmoins, cela n’est plus un motif d’anathème : la reconnaissance mutuelle des Églises luthéro-réformée s’est, par exemple, exprimée par la concorde de Leuenberg dont on vient de fêter les 50 ans cette année 2023. Au sein de la Fédération protestante de France, Églises luthéro-réformées et baptistes témoignent de leur communion. Cela ne doit pas occulter un mouvement non sacramentel dont l’Armée du Salut est un témoin qui accorde une importance à la vie intérieure et non aux cérémonies.
Cependant la pratique du culte correspond à un besoin anthropologique d’éprouver la grâce sur un mode sensible et d’être encouragé par la présence des autres. Les cultes, voulus intelligibles par les réformateurs, sont des moyens d’éducation et des occasions de grande liberté. Cela se confirme dans la grande place accordée à la prédication (Gounelle rappelle qu’autrefois on ne disait pas « aller au culte », mais « aller au sermon » p. 291). Pour Gounelle, la prédication est plus qu’un sermon ; elle annonce et elle explique l’Évangile. La prédication est tour à tour qualifiée par les théologiens protestants de « théophanie », « christophanie », « épiphanie divine », « parole de Dieu » (Confession helvétique postérieure). Charles Hauter considérait qu’elle était l’équivalent de la transsubstantiation pour les catholiques. Gounelle nuance en rappelant, avec Karl Barth, que la prédication ne s’identifie jamais avec la parole de Dieu – « elle reste toujours un discours humain et faillible » (p. 294). Si la prédication est un enseignement et une interpellation, Gounelle propose aussi de comprendre la prédication comme un moyen d’engager un dialogue entre l’auditeur et la parole de Dieu.
C’est la possibilité qu’il y ait une prédication qui donne une raison d’être à l’Église et aux ministères. L’Église permet également de donner corps à l’élan de la foi – le corps dont le Christ est la tête – ce qui permet à la grâce de se concrétiser par des actes.
Gounelle termine son ouvrage par un envoi intitulé « l’esprit du protestantisme ». Nous y retrouvons les grands thèmes : À Dieu seule la gloire, désacraliser le religieux et sanctifier le profane, se tenir devant Dieu (coram Deo) et l’individualisme protestant, la lettre et l’Esprit, la liberté, notre engagement à poursuivre la création, ce qui est la manière par laquelle Dieu fait surgir du nouveau.
Une bibliographie d’environ 500 références permet d’avoir de nombreuses occasions d’approfondir encore cet univers riche d’idées.
Gounelle est un professionnel de la synthèse et de la typologie. Il réussit une fois de plus dans cet exercice qui consiste à exposer les idées, les faits, en laissant au lecteur le soin de choisir ce qui forgera ses propres convictions. Gounelle présente, il explique. Si son inclination théologique personnelle point ici ou là, sa neutralité bienveillante fait de sa Théologie du protestantisme un ouvrage de référence pour l’ensemble du protestantisme. Cette bienveillance va jusqu’à faire référence très souvent aux positions catholiques. Ce qui peut être un regret parfois (il est possible de présenter le protestantisme sans l’observer en contrepoint du catholicisme) est aussi une grande richesse puisque nous avons aussi une introduction au catholicisme par la même occasion (on aurait aimé une mise en perspective avec l’orthodoxie, dans le même esprit).
Il manque peut-être des chapitres sur Dieu, sur la prière, sur l’éthique pour avoir tout sous la main. Ce travail rigoureux, très bien documenté, fait découvrir une multitude de théologiens et permet, ainsi, de découvrir les théologies des protestantismes. Cela permettra aux lecteurs de développer leur propre théologie.
Fort de sa carrière universitaire, André Gounelle offre ici une synthèse de son enseignement. Cette Théologie du protestantisme peut être considérée comme un manuel qui rassemble en un volume tout ce qu’un protestant ou quelqu’un désireux de connaître l’ADN du protestantisme devrait savoir. Ce n’est pas une introduction au protestantisme qui survolerait les grands principes de la Réforme, mais un ouvrage qui permet d’approfondir l’essence du protestantisme. Toute personne désireuse de prendre des responsabilités dans l’Église devrait s’en équiper pour nourrir théologiquement son engagement. C’est un livre dense qui peut être lu facilement par son découpage en chapitres et en sections.
André GOUNELLE, Théologie du Protestantisme, Paris, Van Dieren, coll. « Références théologies », 2021, 419 p.
James Woody est docteur en théologie, pasteur de l'Eglise Protestante Unie de France à Montpellier. Il publie régulièrement sur son blog (Esprit de liberté)
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